Les salariés de plus en plus choyés
La vie économique et sociale est pleine de paradoxes. Ainsi, dans nos îles de l’océan Indien, le chômage des jeunes pèse très lourd alors que les entreprises se plaignent d’une pénurie de main d’œuvre. Il s’agit d’une inadéquation entre l’offre et la demande qui n’est pas nouvelle. Le chômage des jeunes est dû au grand nombre de ceux qu’on range sous l’acronyme anglais NEET. Il s’agit de jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Rien qu’à La Réunion leur nombre est estimé à 41 000, soit 26 % de cette classe d’âge. À mon humble avis, il est probable que cette proportion soit identique à Maurice. Il suffit d’écouter les témoignages de ceux qui interviennent dans les cités à travers des ONG ou même des entreprises privées qui mettent ainsi en œuvre leur RSE. À Maurice, où l’État n’est pas très riche, le privé intervient beaucoup dans la lutte contre la pauvreté. À Madagascar, les chiffres sont encore plus dif-iciles à obtenir, mais le chômage des jeunes doit être écrasant.
Tirer les ressources humaines vers le haut
On sait aussi que la majorité des Malgaches qui travaillent le font dans l’économie informelle. Dans certains secteurs de l’économie formelle, comme l’industrie textile, il existe pourtant un fort potentiel, de même que dans le tourisme. Mais il faut tirer les ressources humaines vers le haut. Ce qu’a pu faire un groupe comme Socota qui accompagne des étudiants et même les enfants de ses salariés.
À La Réunion, même s’il existe davantage de fonds publics, les entreprises mettent la main à la pâte, bien conscientes de ce problème de société. Les plus grandes, comme le Groupe Bernard Hayot, s’efforcent d’accueillir des jeunes et de participer à leur formation. Ce qui permet aussi de répondre à leurs propres besoins et d’éviter de se tourner vers l’Hexagone qui, de toute façon, souffre également d’une pénurie de main d’œuvre qualifiée. Il suffit de lire dans ce numéro notre dossier sur le secteur aéronautique pour s’en convaincre.
Insérer dans le monde économique un jeune très éloigné de l’emploi, sans qualification et parfois sans grande motivation, n’est pas une mince affaire. Il faut faire preuve d’innovation et sortir des terrains battus de l’Éducation traditionnelle. Dans ce même numéro de notre magazine, une enquête sur les jeux vidéo et ce qu’on appelle l’« esport » (sport électronique) nous indique quelques pistes .
Faut-il un salaire minimum
Les NEET ne votent pas beaucoup et ne sont bien souvent même pas inscrits sur les listes électorales. Ce qui n’est pas le cas des salariés qui forment le gros bataillon des électeurs. Il faut donc les choyer et ne pas laisser s’installer la grogne, d’autant que 2024 sera une année électorale à Maurice. Le gouvernement vient de décréter une augmentation de 29 % du salaire minimum qui passera à 15 000 roupies (environ 315 euros) au 1er janvier 2024. Dans les entreprises à haute intensité de main d’œuvre non qualifiée, le choc sera rude. D’autant plus rude, qu’il y avait déjà eu le choc de la CSG. Et comme toujours, l’augmentation du salaire minimum va entraîner d’autres augmentations de salaire. En effet, les employés de base ayant à leur actif plusieurs années d’ancienneté auront du mal à accepter qu’un jeune recruté démarre au même niveau qu’eux. Les employeurs devront faire des concessions. Mais le pourront-ils ? Un effet pervers de la forte augmentation du salaire minimum pourrait être le développement de l’économie informelle.
L’intérêt d’avoir un salaire minimum est d’ailleurs un sujet qui ne fait pas l’unanimité chez lez économistes. Pour certains, au lieu de tirer vers le haut, c’est le contraire qui se passe et les États sont obligés d’augmenter leur assistance sociale. En Suisse, la majorité des cantons n’imposent toujours pas de salaire minimum. Mais le pays affiche un niveau de salaires parmi les plus élevés du monde. Le salaire moyen d’un serveur de restaurant, par exemple, est de l’ordre de 3 860 euros. Et il faut ajouter que les charges sociales restent faibles en Suisse, en comparaison avec la France.
Séduire les jeunes talents
Puisqu’on parle de serveur de restaurant, cela nous amène à nous pencher sur le secteur touristique (en particulier l’hôtellerie) qui lui aussi, à Maurice, a tendance à choyer ses salariés pour les garder. Bien loin le temps où certains DRH recruteurs faisaient montre d’arrogance et ne se donnaient même pas la peine de répondre à des lettres de candidature. Aujourd’hui, on en arrive à considérer les employés comme des clients. Les grandes entreprises, et pas seulement dans le tourisme, dépensent des fortunes pour être labellisées comme lieu où il fait bon travailler, en faisant réaliser un audit social. Il est de bon ton aussi de montrer qu’on est engagé dans le développement durable et, là encore, il s’agit de payer des consultants pour accéder à un label ou une norme. Tout ça pour séduire de jeunes talents.