Loi de finances : quel signal pour les entrepreneurs et les investisseurs ?
Tel était le thème du dernier buffet-débat organisé par la Chambre de Commerce et d’Industrie France Maurice (CCIFM), le 6 septembre dernier au Hennessy Park Hôtel à Ebène.
Il faut souligner tout d'abord la qualité de ces diners débats et autres conférences organisés par la CCIFM. En l'occurence, ce sujet compliqué a pu être expliqué avec beaucoup de clarté à une assistance composée essentiellement d'entrepreneurs. Les intervenants ont su démocratiser et résumer en un langage clair cette loi de finances qui fera sûrement date dans l'histoire économique du pays. Et pour cause : pour Renganaden Padayachi, manager des analyses économiques et industrielles à la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI) : "si notre croissance est tombée de 6 à 3,5% ces dernières années, c'est notamment à cause d'une baisse de la demande globale dont la baisse de la natalité est une des grandes causes. Ce que nous avons proposé au Gouvernement et qui est inscrit aujourd'hui dans la Loi de finances tient en quelques grandes mesures."
Il s'agit, en bref de mesures sociales avec l'impôt négatif et une nouvelle fiscalité à l'attention des employés de maison (une mesure qui permet en outre de formaliser ces emplois informels et contribuer à faire baisser les chiffres du chômage). Des mesures qui peuvent être qualifiées de "keynésiennes" et visant à rehausser la consommation par la base.
"Attirer des retraités à pouvoir d'achat intermédiaire"
L'autre grande mesure porte sur l'accueil des étrangers avec, en premier lieu, le panel des retraités : "aujourd'hui nous ciblons les retraités à fort pouvoir d'achat, mais ces gens là sont très mobiles et ne restent pas toute l'année à Maurice. Avec notre nouvelle politique, nous devrions attirer des retraités à pouvoir d'achat intermédiaire". Sur ce point mr Padayachi cite un exemple frappant : "nous avons estimé qu'avec 100 000 retraités qui ne resteraient que 6 mois dans le pays, les recettes seraient de 80 milliards de roupies par an" (environ 2 milliards € NDLR soit le double de celles du tourisme).
Enfin, à l'autre bout de la pyramide des âges, les conseils du MCCI au gouvernement ont porté sur la relance de la natalité : "aujourd'hui le taux de fécondité moyen est tombé à 1 enfant par femme à Maurice, alors qu'il doit être de 2,2 minimum pour le renouvellement de la population. Pour cela des exemptions fiscales vont être proposées aux familles".
Autres mesures portant sur l'investissement direct mauricien : "50 milliards (environ 1,2 milliard €) devraient être investis dans les infrastructures les dix prochaines années avec un maximum de recours aux entreprises et à la main d'oeuvre mauricienne pour plus de valeur ajoutée locale". Une mesure clé qui devrait permettre au pays de se mettre sur les rails d'un vrai pays développé à moyen terme.
Enfin, un autre sujet concernant l'investissement mauricien, souvent occulté mais que monsieur Padayachi a bien identifié : "on estime que les Mauriciens investissent 20 milliards de rouîes par an à l'étranger pour du shopping, l'idée est de leur ouvrir les portes du duty free pour qu'ils investissent cet argent dans le pays".
En filigrane de cette loi de finance, l'idée est d'inverser la tendance qui fait qu'aujourd'hui il est plus simple et moins cher de se lancer dans le commerce d'importation plutôt que dans la production locale : "il faut favoriser les investissements dans la production locale par des mesures fiscales attractives tout en favorisant l'exportation de notre production locale"
L'accent mis sur l'innovation, la recherche et développement est notable comme l'a remarqué Catherine Dubreuil Mitaine, présidente de la CCIFM : "nous saluons avec beaucoup d'enthousiasme le projet d'un visa innovation"".
Rappelons que toutes ces mesures structurelles de fond seront désormais coordonnées par un seul bureau avec le projet d'Economic Development Board. Cet organe d'Etat état deviendra la seule agence de promotion économique de Maurice. Il absorbera la Financial Services Promotion Agency, le Board of Investment, Enterprise Mauritius et le Mauritius Africa Fund, cela pour une approche plus holistique de l'économie.
Investir en Afrique depuis Maurice
C'était l'autre grand volet du débat et qui a permis d'y voir plus clair là aussi.
Pour Louis Amédée Darga, CEO de StraConsult ABDS : "Depuis 2010 environ, le pays essaie de se positionner comme le hub pour les investissements en Afrique. Mais ce n'est pas nouveau car il y a déjà beaucoup d'entrepreneurs mauriciens qui sont établis là bas de longue date. Certaines grandes sociétés mauriciennes réalisent 50% de leur CA en Afrique et 40% de leur profit net. Il y a de vrais potentiels à investir en Afrique même si ça fait encore peur pour beaucoup de pays" A titre d'exemple, mr Darga cite un des "pires" pays du continent noir, hier riche et aujourd'hui ruiné par des réformes agraires dictées par un Robert Mugabe omniprésent : Le Zimbabwe. "Dans ce seul pays d'Afrique de l'Est, ce sont 600 millions US$ qui ont été investis en 2016 à partir de Maurice. En tout 4,2 milliards sont passés par ici puis vers le continent africain.".
Pourtant la vigilance est de mise : "nos atouts fiscaux ne sont pas le seul critère des investisseurs, souvent des Africains qui investissent en Afrique. Pour eux, la fiscalité là bas est souvent plus attractive" dixit mr Darga qui sous entend de manière polie combien la corruption est synonyme de paradis fiscal en Afrique, tout en soulignant : "ce qui les intéresse chez nous c'est la sécurisation, le service et la plus value de leurs investissements. Nous le savons et il faut améliorer nos offres mais je constate qu'à ce jour il y a encore une trop faible implémentation de l'Etat à aller dans ce sens. Les mauvaises commodités aériennes sont aussi à dénoncer".
En conclusion, ce sage de l'économie mauricienne préconise de bien étudier son marché et surtout de ne pas se précipiter pour éviter les problèmes d'interculturalité.
Des conseils approuvés par Jean Luc Wilain, directeur du Business development chez IBL Group qui dispose de nombreuses fililales en Afrique : "Il faut aller là bas avec beaucoup de convictions et surtout ne pas y aller avec des modèles préconcus, avec un plan de recrutement des ressources humaines bien établi et surtout… laisser le temps au temps"