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L’or vert : Comment valoriser la biodiversité tropicale ?

Avec les éco-procédés et l’innovation de rupture, La Réunion ne manque pas d’atouts pour trouver sa place sur le marché mondial de la cosmétique et de la santé. Mais encore faut-il séduire le monde agricole avec cette diversification et développer une véritable filière.

Avant le passage du cyclone Dina en 2002, La Réunion fournissait 80% du marché mondial de l’huile essentielle de géranium Rosat. Depuis, les parfumeurs se sont tournés vers des productions asiatiques à moindre coût. Pour assurer des revenus substantiels à la filière des plantes aromatiques et médicinales, l’île est en recherche de solutions innovantes de valorisation pour sa riche biodiversité. « La Réunion peut figurer en très bonne place dans le monde en terme de valorisation de la biodiversité, assure Gaston Bigey, directeur de l’agence régionale de développement Nexa. Nous travaillons à mobiliser des fonds régionaux et européens pour lancer des appels à projets dans ce domaine. » Des productions alimentaires endogènes, comme les fruits et légumes, les épices et les aromates, peuvent approvisionner des transformations innovantes. « Nous valorisons une partie de cet or vert, notamment sous forme de sirops extraits à froid, utilisant aussi des co-produits industriels de l’agroalimentaire et des pestes végétales, indique Gwenn Atheaux, directrice de Mobie et pionnière des procédés d’écoextraction à La Réunion. De plus en plus d’agriculteurs bio nous proposent une partie de leur récolte pour la transformer. » 
Le laboratoire Octans opère dans les extraits naturels pour le marché de la cosmétique, utilisant aussi l’eau minérale naturelle de Cilaos. « Nous produisons des cosmétiques certifiés bio sous la marque Cilaos en valorisant des plantes telles que le combava, le gingembre et la vanille. Nous les commercialisons à l’export via internet et les boutiques en Duty Free », informe Thierry Colombet, gérant de l’entreprise. 
Ces deux acteurs sont encore en recherche de rentabilité et souhai-teraient bénéficier d’un meilleur réseau de vente et d’une simplification logistique. 
 

Gaston Bigey, directeur de Nexa : « La Réunion peut figurer en très bonne place dans le monde en terme de valorisation de la biodiversité. Nous travaillons à mobiliser des fonds régionaux et européens pour lancer des appels à projets dans ce domaine. »
Gaston Bigey, directeur de Nexa : « La Réunion peut figurer en très bonne place dans le monde en terme de valorisation de la biodiversité. Nous travaillons à mobiliser des fonds régionaux et européens pour lancer des appels à projets dans ce domaine. »  Guillaume Foulon

 

UNE PLATEFORME D’OUTILS D’ECO-EXTRACTION

L’enjeu de l’approvisionnement est particulièrement crucial pour les ressources non alimentaires, telles que les plantes à parfum, aromatiques et médicinales. « Nous recherchons des valorisations qui permettent de rémunérer correctement les producteurs en allant plus loin que les huiles essentielles, avec de l’innovation créant de la valeur ajoutée », explique Laurent Janci, responsable du projet Extraits de Bourbon. 
 

Gwenn Atheaux, directrice de Mobie et pionnière des procédés d’éco-extraction à La Réunion : « De plus en plus d’agriculteurs bio nous proposent une partie de leur récolte pour la transformer. »
Gwenn Atheaux, directrice de Mobie et pionnière des procédés d’éco-extraction à La Réunion : « De plus en plus d’agriculteurs bio nous proposent une partie de leur récolte pour la transformer. »  Guillaume Foulon

La naissance d’une filière des principes actifs et extraits naturels est en expérimentation à La Réunion avec la recherche de produits à haute valeur ajoutée intéressant le marché mondial du bien-être et de la santé. L’huile essentielle de baie rose, par exemple, a trouvé de bons débouchés, mais elle commence à être produite massivement à Madagascar, où la baie rose n’existait pas auparavant. « Nous travaillons à développer une filière agricole autour de certaines des 19 plantes réunionnaises récemment inscrites à la pharmacopée française pour les faire connaître sur le marché », souligne Adeline Masson, chargée de mission à l’Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales). De son côté, la nouvelle structure Réunion Eco Ex, bénéficiaire d’un financement national au titre des « Investissements d’Avenir », met à disposition du territoire une plateforme d’outils d’éco-extraction. « Eco Ex peut avoir le rôle d’un centre de transfert de technologies pour la mise au point de projets privés. Nous pouvons envisager la vente d’extraits naturels à des faiseurs, qui est un marché conditionné au prix, ou la vente de produits finis au consommateur qui nécessite de développer une marque identitaire », commente Fabrice Thibier, directeur de l’entreprise. 
 

Thierry Colombet, gérant d’Octans : « Nous produisons des cosmétiques certifiés bio sous la marque Cilaos en valorisant des plantes telles que le combava, le gingembre et la vanille. Nous les commercialisons à l’export via Internet et les boutiques en Duty Free. »
Thierry Colombet, gérant d’Octans : « Nous produisons des cosmétiques certifiés bio sous la marque Cilaos en valorisant des plantes telles que le combava, le gingembre et la vanille. Nous les commercialisons à l’export via Internet et les boutiques en Duty Free. »  Guillaume Foulon
 

 

LE POTENTIEL DES « PLANTES À TRAIRE »

Le problème du « sourcing » est accentué par le manque de vision à moyen terme pour des partenariats entre planteurs et transformateurs sur des productions dédiées. « Il faut plusieurs années pour connaître la rentabilité d’une nouvelle production », avise Laurent Janci. « Si la commercialisation décolle sur Internet, le risque est de se trouver à court de matière première et de disparaître du marché », s’alarme Fabrice Thibier. C’est pourquoi les professionnels de l’île préfèreront maîtriser l’ensemble d’une chaîne de valeur plutôt que d’être réduits à la production de matière sèche de première transformation. Matière qui sera, la plupart du temps, disponible ailleurs à moindre prix. Une technologie qui permet de s’affranchir d’une ressource en volume est nouvellement exploitée à La Réunion grâce à un partenariat avec Plant Advanced Technologies (PAT), opérateur français spécialisé dans l’identification et la production de molécules végétales rares.

Adeline Masson, chargée de mission à l’Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales) : « Nous travaillons à développer une filière agricole autour de certaines des 19 plantes réunionnaises récemment inscrites à la pharmacopée française pour les faire connaître sur le marché. »
Adeline Masson, chargée de mission à l’Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales) : « Nous travaillons à développer une filière agricole autour de certaines des 19 plantes réunionnaises récemment inscrites à la pharmacopée française pour les faire connaître sur le marché. »  Guillaume Foulon
 

« Ces technologies brevetées nous permettent d’accéder au compartiment racinaire des plantes cultivées en aéroponie, détaille Henri Beaudemoulin, horticulteur réunionnais qui gère la filiale locale PAT Zerbaz. Une exclusivité qui ouvre des champs importants avec un savoir-faire qui permet de développer des activités spécifiques pour le marché national et international des cosmétiques et de l’agro chimie. » Résumée sous le nom de « plantes à traire », la méthode permet de multiplier, plusieurs centaines de fois, les molécules au niveau des racines et de réutiliser les plantes au lieu d’en cultiver intensivement.  
 

Philippe Holstein, chargé de l’intelligence territoriale à Nexa : « Quinze bourses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche, participant à la prise en charge d’un chercheur – Ndlr) sont allouées chaque année à La Réunion, mais une ou deux seulement sont utilisées. »
Philippe Holstein, chargé de l’intelligence territoriale à Nexa : « Quinze bourses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche, participant à la prise en charge d’un chercheur – Ndlr) sont allouées chaque année à La Réunion, mais une ou deux seulement sont utilisées. »  Guillaume Foulon
 

 

LA COLLABORATION ENTRE LES CHERCHEURS ET LES ENTREPRISES

Motivés par la richesse en biodiversité de l’île et la possibilité de produire toute l’année grâce au climat, Plant Advanced Technologies (PAT) travaille à l’implantation d’un laboratoire de recherche et de 2 000 mètres carrés d’installations dédiées à la production de molécules végétales pour PAT Zerbaz. « À l’origine de ce partenariat, en 2008, une recherche était menée avec l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et, aujourd’hui, nous bénéficions de la collaboration de l’Armeflhor (Centre technique d’expérimentation en fruits, légumes et horticulture à l’île de la Réunion), précise Henri Beaudemoulin. Notre savoir-faire nous permet aussi, en aval, d’envisager des collaborations sur des productions plus classiques avec des partenaires locaux. »

Laurent Janci, responsable du projet Extraits de Bourbon : « Nous recherchons des valorisations qui permettent de rémunérer correctement les producteurs en allant plus loin que les huiles essentielles, avec de l’innovation créant de la valeur ajoutée. » 
Laurent Janci, responsable du projet Extraits de Bourbon : « Nous recherchons des valorisations qui permettent de rémunérer correctement les producteurs en allant plus loin que les huiles essentielles, avec de l’innovation créant de la valeur ajoutée. »   Guillaume Foulon

La collaboration entre les scientifiques et les entrepreneurs n’est pas toujours simple, cependant, particulièrement dans le domaine de la recherche. « Nous savons que la collaboration entre l’Université et les entreprises ne fonctionne bien que si l’on se connaît depuis longtemps, en sachant comment travaillent les uns et les autres, pose Laetitia Adelard, chercheuse au laboratoire Piment et pour deux autres labos de l’université de La Réunion. Je travaille plutôt sur la micro biodiversité, sur la production d’énergie à partir de déchets agro-industriels et sur l’utilisation potentielle de biomasse pour produire des biocarburants. Plus nous passons de temps à la recherche et moins nous sommes disponibles pour aller vers les entreprises. Le problème, c’est qu’en cas d’opportunités con crètes, nous nous rendons disponibles au dernier moment. »   
 

Christian Meriau, directeur du Cyroi (Cyclotron Réunion-Océan Indien), émanation de l’Université et du Centre hospitalier universitaire (CHU) : « Nous hébergeons des équipes académiques et des startups dont deux tiers opèrent dans le champ de la biodiversité… Et la Région Réunion va entrer dans notre capital pour mieux territorialiser cet outil. »
Christian Meriau, directeur du Cyroi (Cyclotron Réunion-Océan Indien), émanation de l’Université et du Centre hospitalier universitaire (CHU) : « Nous hébergeons des équipes académiques et des startups dont deux tiers opèrent dans le champ de la biodiversité… Et la Région Réunion va entrer dans notre capital pour mieux territorialiser cet outil. »  Guillaume Foulon
 

 

AVOIR RECOURS AUX BOURSES CIFRE

Le Cyroi (Cyclotron Réunion-Océan Indien) est le partenaire chef de file de la Région Réunion pour rassembler des opérateurs du monde scientifique et du monde économique afin de dégager des actions prioritaires pour la valorisation du bio patrimoine. « Dans un lieu unique, le Cyroi, émanation de l’Université et du Centre hospitalier universitaire, héberge des équipes académiques et des startups dont deux tiers opèrent dans le champ de la biodiversité, expose Christian Meriau, son directeur. La Région Réunion va entrer au capital du Cyroi de façon à mieux territorialiser cet outil et pour se mettre d’accord sur un contrat d’objectifs et de moyens. »

Laetitia Adelard, chercheuse au laboratoire Piment et pour deux autres labos de l’université de La Réunion : « Plus nous passons de temps à la recherche et moins nous sommes disponibles pour aller vers les entreprises. Le problème, c’est qu’en cas d’opportunités concrètes, nous nous rendons disponibles au dernier moment. »  
Laetitia Adelard, chercheuse au laboratoire Piment et pour deux autres labos de l’université de La Réunion : « Plus nous passons de temps à la recherche et moins nous sommes disponibles pour aller vers les entreprises. Le problème, c’est qu’en cas d’opportunités concrètes, nous nous rendons disponibles au dernier moment. »    Guillaume Foulon

Parfois, la contribution des chercheurs à des projets de développement en biodiversité n’est pas rendue accessible aux entreprises partenaires. « Il y a une obligation de publication des résultats d’une recherche, mais pas de publication des données rassemblées pour l’étude », regrette Laurent Janci. Les entreprises peuvent aussi employer un doctorant au bénéfice d’une bourse Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche), 80% de son salaire étant pris en charge si l’on inclut un dossier de crédit impôt recherche. Le doctorant doit alors consacrer 50% de son temps de travail à l’entreprise. 

Henri Beaudemoulin, gérant de Pat Zerbaz, filiale réunionnaise du Français Plant Advanced Technologies (PAT) : « Nos technologies brevetées nous permettent d’accéder au compartiment racinaire des plantes cultivées en aéroponie. Une exclusivité qui ouvre des champs importants sur le marché des cosmétiques et de l’agrochimie. »
Henri Beaudemoulin, gérant de Pat Zerbaz, filiale réunionnaise du Français Plant Advanced Technologies (PAT) : « Nos technologies brevetées nous permettent d’accéder au compartiment racinaire des plantes cultivées en aéroponie. Une exclusivité qui ouvre des champs importants sur le marché des cosmétiques et de l’agrochimie. »  Guillaume Foulon

 

OBTENIR DES PREUVES DE CONCEPT EN ENTREPRISE

L’opportunité de la Cifre reste très faiblement exploitée. « Quinze bourses sont allouées chaque année à La Réunion, mais une ou deux seulement sont utilisées, réagit Philippe Holstein, chargé de l’intelligence territoriale à Nexa. D’autre part, dans la nouvelle programmation, il y aura obligation de mise à disposition, de manière large, au grand public, des données et des résultats de la recherche au moyen de portails d’open data. » Sur de récents projets relevant de subventions européennes, l’Université a pu faire financer des postes de techniciens et de post-doctorants. « Nous avons pu dégager du temps pour développer des études extérieures et pour anticiper sur des phases suivantes. Nous avons maintenant besoin d’avoir des preuves de concept en entreprise », révèle Laetitia Adélard.

Fabrice Thibier, directeur de Réunion Eco-Ex : « Nous pouvons envisager la vente d’extraits naturels à des faiseurs, qui est un marché conditionné au prix, ou la vente de produits finis au consommateur qui nécessite de développer une marque identitaire. »
Fabrice Thibier, directeur de Réunion Eco-Ex : « Nous pouvons envisager la vente d’extraits naturels à des faiseurs, qui est un marché conditionné au prix, ou la vente de produits finis au consommateur qui nécessite de développer une marque identitaire. »  Guillaume Foulon
 

La Région Réunion travaille à inciter au montage de projets collaboratifs entre des entreprises et des centres de recherche. Certains acteurs vont déjà bénéficier de subventions suite à une précédente vague d’appels à projets. « Nous voulons aussi rassembler des opérateurs du monde scientifique et du monde économique pour générer une envie d’avancer ensemble, ajoute Philippe Holstein. L’atelier S3 (Smart Spécialisation Strategy) sur les principes actifs et les extraits naturels vise à rassembler ces acteurs pour établir une feuille de route et passer de la déclaration d’intention à la réalisation d’avantages compétitifs dans ces domaines. » 
À l’issue de ce forum, il ressort que les activités qui s’adossent à une abondance végétale existante et celles qui s’en affranchissent par un saut technologique opèrent plus facilement que les projets qui nécessitent l’organisation viable de nouvelles cultures pérennes.
 

Frédéric Lorion, en charge de l’Observatoire de Nexa, l’agence régionale de développement : « Nous achevons une étude sur le développement de la production d’extraits naturels à La Réunion et sur le traitement de la chaîne de valeurs. »
Frédéric Lorion, en charge de l’Observatoire de Nexa, l’agence régionale de développement : « Nous achevons une étude sur le développement de la production d’extraits naturels à La Réunion et sur le traitement de la chaîne de valeurs. »   Guillaume Foulon