Me Amritraj Dassyne : « Les notaires sont de plus en plus branchés »
Notaire dont l’étude familiale est l’une des plus anciennes de l’île (établi en 1919), Me Amritraj Dassyne explique comment sa profession travaille à rationnaliser le marché immobilier. Objectif : rassurer les acheteurs, en particulier étrangers.
L'Eco austral : Lors de notre enquête sur l’aménagement du territoire, nous avons découvert que des terrains ont pu être vendus deux fois, voire trois fois ! Comment est-ce possible ?
Me Amritraj Dassyne : Il y a plusieurs explications à cela, mais la plus simple s’appelle la prescription acquisitive. Imaginons qu’un Mauricien résidant à l’étranger ait acheté il y a vingt ans un terrain pour y construire sa maison. Il possède tous les titres de propriété et revient régulièrement sur l’île. Entre-temps, un individu prend possession de ce terrain. Et il va, via un affidavit (écrit par lequel on déclare devant une personne assermentée que les faits énoncés sont vrais), expliquer qu’il ne connaît pas le propriétaire officiel de ce terrain dont il s’est occupé de façon continue, ininterrompue, paisible, publique et à titre de propriétaire de manière apparente… Il fait enregistrer cet affidavit au Registrar. De facto, il possède dès lors un titre de propriété, certes précaire mais exploitable. Il peut donc demander un permis de construire et même vendre ce bien !
Qui est, en ce cas, le propriétaire légal ?
Le notaire ne se prononce pas sur ce point, il rajoute juste une clause dans le contrat où il avertit la partie acquéreuse que, de par son origine, le titre de propriété est précaire. Mais le cadastre n’est pas en lui-même un titre de propriété. Le « vrai » propriétaire doit alors poursuivre en justice la personne qui a pris son terrain, et c’est la Cour qui tranchera.
Si la Cour lui donne raison, le propriétaire peut-il demander la destruction du bâtiment ?
Il s’agit d’une action assez complexe. Même si les droits du propriétaire légitime ont été reconnus, il peut y avoir des compensations, car la personne qui a construit le bâtiment se retrouve en position de faiblesse. Face à ces litiges, les autorités ont décidé, en 2013, de suspendre la prescription acquisitive. Cette décision est fondamentale. Il faut savoir que Maurice est un État de droit qui s’appuie sur une « alchimie » quasi unique de droit civil français et de Common Law britannique.
Quel est l’impact de cet héritage sur le droit immobilier ?
À Maurice, nous nous appuyons sur le Code Napoléon (Code civil). Tous les principes de la propriété applicables et appliqués à Maurice sont identiques à ceux de la France, de la Belgique, bref de tous les États qui ont le Code civil ! La plupart des acquéreurs de ces pays connaissent le rôle du notaire, de la Vefa (Vente en l'état futur d'achèvement), ce qui permet de sécuriser l'achat avec notamment la Garantie future d'achèvement (GFA) des travaux de construction…
Comment votre métier a-t-il évolué ?
La Chambre des notaires de Maurice a été créée en 1804. L’Association des notaires de l’Île Maurice (ANM) date de 2008 et se trouve membre de l’Union internationale du notariat. Nous avons des liens privilégiés avec nos confrères français. À preuve, l’ANM a fait voter une loi notariale Acte 7 de 2008 inspirée de la loi française.
Depuis trois ans, l’ANM a développé son propre système informatique pour centraliser et sécuriser tous les actes notariés. Le but est que très rapidement toutes les études à Maurice soient reliées entre elles et à la base de données « Sécuriact ». Cette dernière a une ligne dédiée avec le conservateur des hypothèques permettant la réception d’actes authentiques de manière sécurisée. Le notaire peut désormais déclencher l’enregistrement de son acte à travers la prise de son empreinte digitale comme c’est le cas en Europe.