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Maurice

Millennials : Maurice ne veut plus être qu’une destination balnéaire

Face à la concurrence d’autres destinations et pour répondre aux demandes des « Millennials » (appelés aussi génération Y), nés entre 1980 et 2000, Maurice diversifie son offre et mise sur son patrimoine et ses paysages. Bref, sur son ADN.

« Il est à rappeler que 30 % de nos touristes sont des repeaters, il faut leur faire découvrir à chaque visite de nouvelles facettes de notre île. Mais également séduire leurs enfants », fait valoir François Eynaud, Chief Executive Officer (CEO) de VLH, un des groupes hôteliers majeurs de l’île. « Cette fameuse génération Y âgée de 18 à 40 ans, ces Millennials comme on dit, veut donner un sens à ses voyages, découvrir, rencontrer, partager. Elle est beaucoup plus écologique que ses aînés et veut vivre des expériences authentiques. Nos études prouvent que les demandes de découverte de notre patrimoine grandissent, avec le tourisme durable et l’écotourisme. » Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), la génération Y représentait déjà, en 2010, 20 % des touristes internationaux à travers le monde (+ 40 %par rapport à 2007). Surtout, elle générait – toujours en 2010 – des dépenses estimées à 165 milliards de dollars, soit une croissance de 9 % par an depuis 2007, beaucoup plus que la moyenne de 3 % enregistrée pour tous les groupes d’âge confondus. 
Ce changement est d’autant plus important que selon MMGY Global, un des plus importants groupes spécialisés dans les industries du voyage, de l’hôtellerie et du divertissement, six Millennials sur dix seraient plus enclins à dépenser de l’argent pour du vécu que pour des biens matériels ! Pour les attirer, il faut donc les séduire. 

Plus informés et exigeants

Nés à l’ère du numérique, les Millenials sont hypermobiles, hyperconnectés (aux réseaux sociaux) et hyper-exigeants. Ces clients s’appuient beaucoup sur l’e-tourisme (e pour électronique) qui regroupe les différentes activités du secteur touristique sur Internet et via le commerce électronique. Devenu incontournable, il a atteint, en 2017, un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros selon le cabinet américain Phocuswright, un autre gros acteur des études sur le tourisme et le voyage. 
« Les voyageurs sont de plus en plus informés, donc plus exigeants. Si les OTA (Online Tourism Agency, agences de voyages en ligne) comme Booking.com et Expedia ont pris une grosse part du marché à Maurice, depuis plusieurs années nous communiquons directement avec nos clients et clients potentiels sur Facebook, Twitter, Linkedin, Instagram, etc. Moins chers, ces canaux de communication permettent de mieux cibler les segments de marché visés », précise le CEO de VLH. Outre l’attachement aux nouvelles technologies, c’est surtout la volonté de vivre de nouvelles expériences qui caractérisent les attentes de cette génération. Elle est à la recherche d’expériences qui sortent du commun, atypiques, décalées, amusantes, authentiques, où l’éthique, le culturel et la protection de l’environnement sont les points de ralliement. Pour répondre aux demandes de la génération Y et à l’évolution sociologique de la clientèle européenne, en particulier française (l’Hexagone et La Réunion pèsent 30 % des arrivées touristiques), avec plus de familles monoparentales ou recomposées, Pacs (pacte civil de solidarité), célibataires, les groupes hôteliers innovent. Ainsi, le groupe Sun Resorts a dédié son établissement l’Ambre Mauritius aux adultes seulement.

Dîner chez l’habitant

L’objectif est aussi de contrer Airbnb : « Cette plate-forme communautaire s’est beaucoup développée chez nous, même si nous n’avons pas encore d’études chiffrant son ampleur », regrette François Eynaud. Le groupe hôtelier Attitude de Jean-Michel Pitot a lancé, dès 2012, pour répondre à cette quête de sens de la clientèle, le concept Ottentik Attitude. « Nos 1 500 employés sont considérés comme des Family Members. Ils sont au cœur d’une équation intégrant le pays et nos 70 000 clients annuels. Nous proposons plusieurs expériences qui mettent en avant la culture mauricienne. L’une des plus réputées est le dîner chez l’habitant : le temps d’une soirée, les hôtes sont invités chez un Family Member pour une immersion totale dans la culture locale. Le plus beau est que notre clientèle s’est approprié ce concept ! », se félicite l’ancien récipiendaire du Prix de l’Entrepreneur de l’année en 2012.
Autre exemple, depuis 2015, les cinq hôtels Veranda Resorts, qui ont chacun leur propre identité, proposent à leur clientèle le concept Deep into Mauritius. « Le principe est d’offrir une immersion totale dans l’art de vivre mauricien, sa culture, sa langue, son histoire, sa musique, sa cuisine. Nous guidons nos visiteurs dans leur découverte, aux alentours de l’hôtel et plus », indique François Eynaud.

Maurice profonde

Dernier groupe à développer une stratégie visant à séduire cette nouvelle clientèle : le groupe Lux. Il a créé, en septembre 2018, la marque Salt. Là aussi il s’agit « d’échanger avec la population locale (…), de vivre avec les habitants ». Mais le groupe va assez loin dans l’immersion car il a identifié 18 talents, « des Mauriciens pas forcément célèbres mais authentiques ». Ces artisans vont montrer ce qu’ils font et partager leur activité. Par exemple, le client pourra apprendre la vannerie avec des artisans. Avec ces opérations il s’agit de séduire ces Millennials qui recherchent à connaître une destination où l’éthique, le culturel et la protection de l’environnement sont des éléments fondamentaux. 
Outre les groupes hôteliers qui ont adapté leur offre, on voit apparaître de nouveaux acteurs qui proposent d’autres facettes de l’île comme la découverte de son histoire et ses paysages. « Les explorateurs d’aujourd’hui ne viennent pas simplement pour découvrir un lieu, ils cherchent aussi à comprendre qui sont les habitants et comment ils vivent. C’est une génération de puristes culturels », résume Paul Jones, le charismatique CEO de Lux.
C’est en 2002 que le groupe Terra Mauricia Ltd (anciennement Harel Frères) fait le pari du tourisme culturel en lançant L’Aventure du Sucre. Paradoxalement, alors que le groupe n’a pas encore développé de pôle hôtelier, c’est un précurseur de ce secteur à Maurice !
En 2015, l’OMT estimait que le tourisme culturel représentait 40 % du 1,2 milliard de touristes internationaux qui ont voyagé dans le monde. « Les concepteurs de L’Aventure du Sucre ont pris en compte les motivations des touristes qui ne se contentent plus de plages de sable fin mais désirent aussi aller à la rencontre de la culture locale. Ici, ils peuvent mieux comprendre l’histoire de Maurice, de sa naissance à son indépendance, et les liens qu’elle a tissés avec la canne à sucre », assure Edwige Gufflet, la Managing Director du site. 
Installé dans l’immense sucrerie du domaine de Beau Plan qui a été réhabilité, ce musée mise sur l’émotion en ayant recours à une muséographie dite d’immersion, avec des mises en scène permettant de dépasser l’explicatif pour faire éprouver le propos au visiteur qui flâne au cœur des gigantesques moulins, machines à vapeur, cuiseurs et centrifugeuses d’époque. 

Produits du terroir

Refait au tiers chaque année afin de se moderniser, tant sur les contenus que sur les supports, le musée, qui tisse des liens avec les sites culturels de La Réunion et de la France, est un mélange d’authenticité et de technologie : audio-guide en cinq langues, écrans dans les espaces, éléments interactifs, utilisation active des réseaux sociaux… Le site s’appuie aussi sur le restaurant Le Fangourin et le Village Boutik conçus pour continuer l’immersion dans la culture mauricienne avec des produits frais du terroir.
Preuve que l’offre est pérenne, « le site est devenu rentable dès 2006 », précise avec fierté Edwige Gufflet. D’ailleurs, chaque année, il accueille 100 000 visiteurs par an dont 70 % sont des touristes, provenant principalement d’Europe. 
Autre site historique capable d’attirer des touristes en quête de sens : l’Aapravasi Ghat (en hindi, abri temporaire). Classé en 2006 patrimoine mondial par l’UNESCO, ce lieu a vu débarquer, de 1834 à 1910, 400 000 travailleurs engagés indiens. Détail intéressant : si le site reçoit 60 000 visiteurs par an – dont deux tiers de Mauriciens en particulier des écoles – on s’aperçoit que la proposition de touristes venus du sous-continent indien est largement supérieure à sa moyenne dans les statistiques des arrivées totales (6,4 % en 2017 avec 86 294 touristes, soit au sixième rang des arrivées touristiques).
« Nous recevons de nombreux touristes individuels, mais aussi des groupes venus de l’Inde. Ils profitent du fait que non seulement leur tour-opérateur les informe de notre prestation mais surtout l’inclut dans un package comprenant des visites à Grand-Bassin (lieu de pèlerinage hindou) mais aussi au Mahatma Gandhi Institute, un lieu de formation soutenu par l’Inde. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que nous commençons tout juste à nous appuyer sur les réseaux sociaux Facebook et Youtube. Et nous avons récemment mis à jour notre site Internet », assure Satyendra Peerthum, historien travaillant à la cellule de recherche du site.
Comme La Réunion, qui en a fait un vrai argument de différenciation, Maurice mise aussi sur l’écotourisme et le développement durable. « La génération Millennials a non seulement contraint les acteurs historiques à réinventer leur modèle en profondeur pour répondre à leurs attentes, mais elle a également fait naître de nouveaux modèles d’entreprises sur des marchés auparavant inexistants », explique Sébastien Manceau, du cabinet de conseil Roland Berger, à nos confrères de The-blog, un site dédié aux professionnels du tourisme et de l’hôtellerie.

Nouvelle demande

C’est tout le pari que relèvent certaines PME qui surfent sur cette nouvelle demande. Yan de Maroussem est un passionné de course. Il a créé, en 2004, Yanature. Pionnière dans son secteur, cette entreprise est spécialisée dans la randonnée, le trekking (randonnée pédestre de longue durée dans des zones sauvages) et le trail running (course à pied sur longue distance, en milieu naturel). Basée dans l’Ouest, elle fait découvrir l’histoire, la faune et la flore de l’île. « Nous proposons de découvrir autrement des endroits inédits de Maurice », précise Nicolas Quéland, un des codirecteurs de Yanature. Il est à noter que 85 % des 4 500 clients qu’elle reçoit par an sont européens (français et allemands).
Sans être passionnés de ces sports, il y a aussi une bonne part de touristes en recherche d’expériences nouvelles. S’ils ont découvert en grande majorité (50 % des réservations) l’entreprise par Internet et les réseaux sociaux, ils sont 30 % à être venus par le biais de voyagistes. Preuve de la bonne qualité des prestations et de ces guides (sportifs accomplis, formés au premiers secours, ils suivent régulièrement des cours à l’ONG Mauritian Wildlife Foundation), l’entreprise apparaît dans le catalogue de 200 tour-opérateurs. Elle a même noué des accords formels (elle est proposée par l’hôtel Lux Le Morne) mais aussi informels avec certains hôtels. 

Offre innovante

À l’exemple de Yanature, d’autres jeunes entrepreneurs ont développé une offre innovante. C’est le cas d’Albane Appadoo. Ayant acquis de l’expérience chez ICAN Tropic, un réseau international de centres d’activité de plein air, cette jeune femme a lancé en 2017, avec un partenaire, A&A Adventurous Spirit. L’entreprise propose, dans différents lieux de l’île des randonnées, de l’escalade et des descentes en canyon. Si elle vise principalement les touristes (majoritairement européens), elle développe également des services vers les entreprises pour renforcer l’esprit d’équipe (team building) et fait découvrir aux Mauriciens et aux touristes le potentiel de l’écotourisme. Ces offres, qui visent avant tout la génération Y, prouvent surtout que Maurice n’est pas qu’une destination balnéaire. Et ça, c’est une vraie (r)évolution… 

Écotourisme et tourisme durable
Selon l’OMT, le tourisme durable est « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des profes-sionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil. » L’éco-tourisme, qui en découle, est une forme de tourisme plus axée sur la conservation écologique et l’éducation des touristes sur l’environnement local et la nature environnante.
Découvrir Maurice par sa… gastronomie
Le pari lancé et relevé par Céline Planel et Nicolas Lagesse, les créateurs de l’entreprise Taste Buddies, est de faire découvrir Maurice par un de ses (rares) éléments de cohésion nationale : sa gastronomie. Créée en 2017, l’entreprise est pionnière dans l’industrie du « food tourism » à Maurice. Elle propose des balades (tours) culinaires et historiques dans différents lieux emblématiques de l’île. Ses trois tours : le Mahébourg Village Food Tour, le China Town Food Tour et le Port Louis Street Food Tour, visent les touristes, les expatriés en recherche d’authenticité, mais également les Mauriciens de la diaspora en visite dans l’île. Au bout d’un an d’existence, Nicolas Lagesse est confiant : « Non seulement, il y a un marché mais la demande est croissante ! »  À preuve, l’offre, qui a déjà bénéficié de très bons commentaires sur les réseaux sociaux, est proposée par certains tour-opérateurs.