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Maurice

Philippe Espitalier-Noël, CEO de Rogers : « nos bons résultats sont l’aboutissement d’une stratégie mûrement réfléchie »

Deux ans après sa séparation d’avec Cim, Rogers a plutôt bien rebondi avec des indicateurs au vert dans tous les secteurs, de beaux actifs et des perspectives de développement, y compris dans les services financiers où la clause de non concurrence avec Cim expire au 4 décembre 2014.

L’Eco Austral : Lors du divorce à l’amiable entre les Espitalier-Noël et les Taylor, en octobre 2012, certains auraient pu s’inquiéter en pensant que Rogers perdait sa poule aux œufs d’or, je veux dire Cim et son activité de services financiers très rentables, en se concentrant sur des secteurs plus difficiles comme l’hôtellerie et la logistique. Mais les derniers chiffres ont tendance à les contredire. Quelle est votre analyse ?

Philippe Espitalier-Noël : Il est vrai que notre Ebitda (Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization – Ndlr), le meilleur indicateur de la rentabilité opérationnelle d’une entreprise, est en progression de 20%, à 1,339 milliards de roupies (33,7 millions d’euros – Ndlr), à la clôture de notre exercice au 30 juin 2014 par rapport à la même période précédente. Il ne s’agit pas d’un hasard, mais du résultat d’une stratégie mûrement réfléchie et je dirai même d’une restructuration entamée il y a dix ans. Une stratégie qui se révèle payante pour tous les actionnaires. Non seulement, ils ont pu toucher des dividendes intéressants, mais ils ont vu la valeur de leurs actions progresser très sensiblement. En mettant ensemble les rendements sur l’action de Cim et de Rogers depuis le lancement séparé de Cim en bourse il y a moins de deux ans, on constate au 17 septembre (date de l’entretien – Ndlr), une progression de 54,5%.
Il ne faudrait pas s’en tenir à cette image un peu facile du « divorce à l’amiable ». Mais à partir du moment où deux groupes d’actionnaires, qui contrôlent une entreprise, ont des divergences de vue sur la stratégie à mener, il est dans l’intérêt de cette entreprise qu’ils se séparent.  

C’était d’autant plus préjudiciable à l’entreprise que vous étiez associés à 50/50 dans la holding qui contrôlait 53% de Rogers. Aujourd’hui, la holding des Espitalier-Noël détient 60% du groupe. On peut dire que c’est plutôt une belle opération ?

Tout le monde ne disait pas cela il y deux ans, comme vous le faisiez remarquer. C’était un pari, avec un risque bien mesuré, certes, mais un pari quand même.

Peut-on dire qu’il y avait d’un côté ceux qui voulaient du résultat immédiat et, de l’autre côté, ceux qui voulaient bâtir davantage sur le long terme et avaient des moyens financiers pour cela ?

C’est vrai qu’il faut semer avant de récolter, et il ne faut jamais s’arrêter de semer. C’est peut-être l’origine agricole du groupe ENL qui nous a forgé cette culture. Et les agriculteurs savent que les profits servent aussi à se prémunir contre les aléas du climat. En l’occurrence, il s’agit des aléas de la conjoncture économique qui ont entraîné des pertes importantes dans notre activité hôtelière et de loisirs au Domaine de Bel Ombre entre 2009 et 2013. Si le groupe n’avait pas eu les reins solides, il n’aurait pas pu résister et investir dans le développement et les structures touristiques à long terme à Bel Ombre. Aujourd’hui, je suis heureux de voir que l’opération hôtelière du groupe (VLH) dégage de nouveau du profit, même s’il reste encore modeste avec 19 millions de roupies (475 000 euros) au 30 juin 2014. Et je compte sur l’événement exceptionnel que nous organiserons en mai 2015 pour booster nos activités en plaçant Maurice sur la carte mondiale du golf. Il s’agira en effet du premier tournoi de golf tri-tours au monde, c’est-à-dire un tournoi inscrit à la fois dans trois circuits professionnels : Sunshine pour l’Afrique australe, European Tour et Asian Tour. Nous ne serons que deux golfs à Maurice, avec celui d’Anahita – qui accueillera le tournoi en 2016 – à être agréés pour cela.   

Cet événement aura lieu dans votre golf de Bel Ombre, au sud de l’île. Vous avez beaucoup investi dans ce vaste domaine qui comprend, outre le golf, vos deux principaux hôtels (Heritage Le Telfair et Heritage Awali), un « château »  et une multitude d’activités, sans parler des villas Valriche d’ENL. On peut dire que là aussi, c’était un pari risqué ?

C’est vrai que nous avons racheté le Telfair à un moment où la conjoncture n’était pas favorable, mais c’était une opportunité à saisir. Depuis la fermeture de l’usine sucrière en 1999 et surtout depuis le lancement du premier hôtel, l’Awali, en 2004, nous avons injecté quelque 8 milliards de roupies (200 millions d’euros) dans le Domaine de Bel Ombre. Outre l’investissement dans les deux hôtels, nous avons construit un golf de 18 trous, rénové le « château », lancé le C-Beach Club, ainsi que la place du Moulin dans l’ancienne usine, à même d’accueillir des événements importants.
En 1971, à une époque où personne ne s’intéressait à ces terres, Amédée Maingard, alors patron de Rogers, avait décidé de racheter 53% du Domaine et il avait même imaginé d’y construire des villas accessibles aux étrangers. Un concept qui s’est réalisé trente-cinq ans plus tard avec les IRS et déjà 135 villas livrées.

Le golf de Bel Ombre où sera organisé en mai 2015 le premier tournoi de golf tri-tours au monde. C’est-à-dire un tournoi inscrit à la fois dans trois circuits professionnels : Sunshine pour l’Afrique australe, European Tour et Asian Tour. - DR

Le golf de Bel Ombre où sera organisé en mai 2015 le premier tournoi de golf tri-tours au monde. C’est-à-dire un tournoi inscrit à la fois dans trois circuits professionnels : Sunshine pour l’Afrique australe, European Tour et Asian Tour.

Aujourd’hui, le Domaine de Bel Ombre est un endroit unique à Maurice, qui offre tout ce que l’île peut offrir en tourisme bleu comme en tourisme vert. Des Réunionnais viennent d’ailleurs y chasser. Beaucoup plus qu’un site touristique, c’est une « expérience client » que nous commercialisons. C’est aussi une belle réussite en terme d’intégration de toute une région qui ne comptait plus d’activité économique significative depuis la fermeture de l’usine. Je voudrai ajouter que l’activité de golf s’est déjà fortement développée avec 33 000 « tee off » en 2013.

Pour rester dans les valeurs patrimoniales du groupe Rogers, quel est le montant des actifs de votre fonds immobilier Ascensia, côté séparément à la Bourse ?

Ascencia est le plus grand fonds immobilier local et ses actifs immobiliers atteignent près de 8 milliards de roupies (200 millions d’euros) avec, notamment, l’acquisition de 50,1% des murs du centre commercial de Bagatelle au 1er juillet 2013. Une nouvelle structure de gestion a été constituée au 1er juillet 2014 et tout cela fait qu’en quelques jours l’action a grimpé de près de 20%, passant de 1 450 à 1 735 roupies.  

Centre commercial de Bagatelle. « Ascencia est le plus grand fond immobilier local et ses actifs immobiliers atteignent près de 8 milliards de roupies (200 millions d’euros) avec, notamment, l’acquisition de 50,1% des murs de Bagatelle au 1er juillet 2013. »- DR

Centre commercial de Bagatelle. « Ascencia est le plus grand fond immobilier local et ses actifs immobiliers atteignent près de 8 milliards de roupies (200 millions d’euros) avec, notamment, l’acquisition de 50,1% des murs de Bagatelle au 1er juillet 2013. »

Avec ses 17,65%, Rogers est aussi le premier actionnaire de New Mauritius Hotels (enseigne Beachcomber), leader de l’hôtellerie mauricienne. Envisagez-vous de monter dans le capital ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour. Il faut souligner qu’ENL détient en direct 2,3% du capital et a une option de rachat sur une partie du capital détenue dans NMH par la famille Taylor. Il ne s’agit pas pour Rogers d’investir pour investir, mais d’avoir une vision stratégique et de saisir les bonnes opportunités.

Votre ouverture à l’international s’est confirmée dans le secteur de la logistique avec votre filiale Velogic qui a fait entrer dans son capital le fonds Amethis Finance à hauteur de 33%, pour un montant de 400 millions de roupies (10 millions d’euros) ?

Plus qu’un renforcement des fonds propres de Velogic, Amethis Finance, fonds d’investissement constitué par des anciens de Proparco, apporte une connaissance de l’Afrique et une expérience que nous n’avons pas. Pour Velogic, qui a réalisé 2,9 milliards de roupies (72,5 millions d’euros – Ndlr) de chiffre d’affaires au 30 juin 2014 et un résultat net de 64 millions de roupies (1,6 million d’euros – Ndlr), le développement international n’est pas une nouveauté. Notre entreprise de logistique est déjà présente en France, au Bangladesh, en Inde, à Madagascar, au Mozambique et à La Réunion, et opère un service de vraquiers à partir de Singapour. Elle doit trouver de nouvelles opportunités de développement en Afrique et ce partenariat y contribuera.

« Notre entreprise de logistique Velogic est déjà présente en France, au Bangladesh, en Inde, à Madagascar, au Mozambique et à La Réunion, et opère un service de vraquiers à partir de Singapour. Elle doit trouver de nouvelles opportunités de développement en Afrique et le partenariat avec Amethis Finance y contribuera. » - DR

« Notre entreprise de logistique Velogic est déjà présente en France, au Bangladesh, en Inde, à Madagascar, au Mozambique et à La Réunion, et opère un service de vraquiers à partir de Singapour. Elle doit trouver de nouvelles opportunités de développement en Afrique et le partenariat avec Amethis Finance y contribuera. »

Vous êtes présent également dans les TIC (technologies de l’information et de la communication) avec notamment EIS qui vient de racheter ADBN, un réseau de communication digitale. N’y a-t-il pas le risque de vous disperser ?

Nos compétences clés d’aujourd’hui seront les piliers de demain. L’avenir de Maurice, c’est d’être une plateforme de services à l’international. ADBN a la capacité de transmettre et de stocker des données à travers le « cloud ». Il y a des synergies avec le centre d’appels et d’externalisation de services AXA dans lequel nous sommes associés à 50% et dont nous sommes désormais l’opérateur. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur ce secteur des TIC qui est en phase avec notre développement international. Le groupe Rogers doit vivre pleinement avec son temps, être capable de développer sa dimension universelle avec une présence physique et virtuelle de ses services. D’ailleurs, le modèle de Rogers Aviation, présent dans sept pays et dans le centre d’appels Blue Connect en partenariat avec Air France, en est un exemple concret.

Avez-vous arrêté votre stratégie pour les prochaines années ?

Nous mettons en place une stratégie bien réfléchie. Avec les développements entrepris depuis la consolidation du groupe ENL dans l’actionnariat de Rogers, il est évident que le groupe bénéficie davantage du parrainage de son actionnaire principal. ENL émerge comme un « meilleur » actionnaire pour Rogers, une réalité que la communauté des investisseurs commence à apprécier.
Notre stratégie de développement est bien lancée. Nous nous donnons les moyens et l’agilité nécessaires afin de saisir les opportunités qui s’offrent à nous. Nous allons continuer de mettre l’accent sur le développement international, comme cela a été le cas avec l’expansion de Rogers Aviation et de Velogic. Après une croissance forte de la performance en 2013/2014, nous visons une progression similaire en 2014/2015.

Et qu’en est-il des services financiers ? Après la séparation avec Cim Finance, allez-vous y retourner ?

Nous détenons 28,84% dans le groupe Swan, l’un des leaders dans le secteur de l’assurance et de l’Asset Management à Maurice. Notre intention est de nous développer au-delà de ces secteurs. Rogers Capital offre déjà des services d’Asset Administration à ses clients et, après la date butoir de non concurrence pour certaines activités avec Cim, fixée au 4 décembre 2014, nous allons élargir la gamme de nos services financiers à travers cette entité.

PHILIPPE ESPITALIER-NOËL : LE NOUVEAU ROGERS

Avec lui, c’était la première fois qu’un membre de la famille Espitalier-Noël prenait les commandes. Après avoir été désigné comme successeur du CEO Tim Taylor en 2005, il prend les rênes du groupe en 2007, à l’âge de 41 ans. Artisan du changement et de la stratégie future du groupe, il travaillait sur sa restructuration depuis son arrivée en 1998. Doté d’un diplôme en économie agricole et d’un MBA de la London Business School, il a beaucoup travaillé sur le concept de changement dans les entreprises à l’international avant de rentrer au pays. Son idée est de développer, à tous les échelons de l’entreprise, des valeurs entrepreneuriales qui permettent de doper la croissance dans les métiers que le groupe maîtrise. Il compte profiter pour cela de son réseau de contacts à l’international.