Port-Réunion va mieux, les importateurs respirent
Renversement brutal de conjoncture sur les quais : doté de nouveaux portiques et débarrassé des conteneurs vides qui encombraient ses terre-pleins, Port-Réunion a retrouvé un fonctionnement normal. Dans le même temps, le prix du fret chute après avoir flambé.
Port-Réunion et tous les importateurs ou exportateurs de marchandises – soit une bonne partie des grands acteurs économiques de l’île – viennent de passer des années difficiles. Après le choc de la pandémie de covid-19, la reprise de l’activité avait provoqué un dérèglement inédit du transport maritime mondial qui s’était traduit par une flambée des prix du fret et de graves perturbations des lignes touchant l’océan Indien. À La Réunion, où 80 % des conteneurs qui arrivent pleins repartent à vide, les compagnies en sous-capacité rechignaient à reprendre ces derniers, activité peu rémunératrice. Les terre-pleins du Grand Port Maritime connaissaient un niveau de saturation sans précédent, au pire moment. Deux de ses six portiques à conteneurs étaient hors service, les temps de traitement des navires s’allongeaient et les annulations d’escales se multipliaient, alors que les entreprises réunionnaises passaient commande à tour de bras pour sécuriser leurs stocks, quitte à payer le prix fort.
La tension a aujourd’hui baissé de plusieurs crans sur les quais. « Nous disposons désormais de cinq portiques de nouvelle génération, le sixième est à l’arrêt pour une maintenance lourde qui allongera sa durée de vie de dix ans, explique Eric Legrigeois, président du directoire du Grand port maritime. Avec des portiques plus rapides, pour un même temps d’escale on peut aussi charger des conteneurs vides. De plus, MSC, qui était la principale responsable de l’engorgement, peut plus facilement dérouter un bateau pour charger 1 000 à 2 000 vides, comme elle le faisait avant la crise. »
Le transport maritime connaît en effet depuis le début de l’année un retournement de tendance dont il a le secret : le trafic connaît un important trou d’air lié au ralentissement de l’économie mondiale. Après la frénésie post-covid pendant laquelle les chargeurs se battaient pour accéder aux bateaux, ces derniers peinent aujourd’hui à faire le plein. Avec une conséquence immédiate : après avoir flambé à des niveaux inégalés, le fret a tout aussi rapidement chuté, au point de revenir à son niveau d’avant-crise, estime Michel Dijoux, président de l’Adir (l’association des industriels) qui négocie chaque année un tarif collectif préférentiel avec Maersk pour ses adhérents. « Pour 2023, nous avons pu obtenir 675 euros pour un conteneur de 20 pieds et 1 350 euros pour un 40 pieds, des prix inférieurs à ceux de 2019. Sur les lignes en provenance d’Asie, où les prix avaient été multipliés par quatre ou plus, nous assistons à un retour à la normale. Nous avons également retrouvé des transit-times normaux, des opportunités s’ouvrent pour faire baisser nos coûts de production. »
Philippe-Alexandre Rebboah, président du Syndicat de l’importation et du commerce de La Réunion (SICR), dresse le même constat positif. « Les tarifs du fret ont fondu comme neige au soleil, commente-t-il, ce qui met nos entreprises dans une situation plus confortable pour optimiser leurs achats et contrer l’inflation, après une phase de surstockage qui avait généré des coûts d’immobilisation importants. »
Combien de temps va durer cette période favorable aux importateurs réunionnais de produits finis et d’intrants ? Le président du SICR se dit préoccupé par les évolutions en cours de la flotte mondiale : d’une part la poursuite de la massification et l’arrivée de porte-conteneurs toujours plus grands, trop pour être accueillis à Port-Réunion. D’autre part les impératifs de décarbonation du transport maritime, qui vont s’imposer aux compagnies. « Celles qui ne disposeront pas de navires de nouvelle génération auront pour solution de ralentir la vitesse des plus anciens pour qu’ils polluent moins, explique Philippe-Alexandre Rebboah, avec pour conséquence un allongement des transit-times. »
« Le ralentissement volontaire de la vitesse commerciale permet d’économiser du carburant, précise Philippe Leleu, président de l’Union maritime de La Réunion (Umir). Dans une période de baisse d’activité, les navires à l’arrêt coûtent cher, à l’image des avions qui ne volent pas. Ralentir les vitesses permet aussi de faire travailler simultanément davantage de bateaux d’une même flotte. »
La Réunion, tête d’épingle sur la mappemonde des échanges maritimes, desservie principalement par les trois leaders mondiaux du secteur – Maersk, MSC et CMA CGM – n’est que spectatrice des stratégies de ces dernières ; même si elle a davantage de possibilités de faire entendre sa voix auprès de la troisième, basée à Marseille.
La sécurité portuaire en progrès : Un accident mortel sur un terre-plein, il y a deux ans et demi, avait mis en émoi la communauté portuaire. Un chauffeur de poids-lourd, en attente de la livraison d’un conteneur, avait été écrasé par un chariot cavalier. Un travail de fond a alors été lancé, associant les professionnels, la CGSS et le Grand Port Maritime. Il a abouti en juillet der-nier : les 36 « gares », points de livraison des conteneurs sur les camions, ont été reconfigurées pour sécuriser ces lieux d’intense co-activité entre manutentionnaires et transporteurs.
Un mystérieux classement : Pas grand monde, au sein de la communauté portuaire, semblait avoir entendu parler jusqu’à cette année de l’Indice de performance des ports à conteneurs (Container Port Performance Index – CPPI), mis au point par la Banque mondiale et l’analyste S&P Global Market Intelligence. Port Réunion y apparaît à une peu envieuse 298ème place, sur 348. C’est pire encore pour Port-Louis (327ème) et Durban frise le bonnet d’âne (341ème). Dans le sud-ouest de l’océan Indien, c’est Tamatave qui pointe en tête, à la 227ème place, devant le port des Seychelles (249ème) et Longoni (267ème). Or le port de Mayotte fait plutôt parler de lui en ce moment pour les escales qui y sont « brûlées » par les compagnies craignant un temps d’attente trop long.
Dans le document diffusé par la Banque mondiale pour présenter le CPPI, se référant à des données de 2022, il n’est pas simple de comprendre lesquelles ont servi pour établir le classement. « Il est vrai que nous avons fonctionné en mode dégradé en 2021 et une partie de 2022 à cause de l’encombrement des terre-pleins par les conteneurs vides et les changements de portiques, indique Eric Legrigeois, président du directoire du Grand port maritime, mais nous n’avons jamais été consultés. Nous allons essayer de comprendre d’où viennent certains chiffres de cette étude. »
« Ce mauvais classement est défavorable en termes de communication, mais on a du mal à en percevoir les critères, confirme Philippe Leleu, président de l’Union maritime (Umir). La plupart des ports français sont très mal cotés ; on va approfondir le sujet. »
Dématérialisation : le maillon manquant : La dématérialisation des procédures de réception ou d’expédition des marchandises a considérablement avancé au cours des deux dernières décennies. Un dernier maillon de la chaîne reste toutefois soumis à des échanges de documents-papiers : l’enregistrement de l’arrivée des camions venant charger les conteneurs à l’entrée du Port Est. L’Umir prône une solution de dématérialisation consistant à installer un portique et un système de lecture automatique, combiné avec une nouvelle organisation permettant une prise de rendez-vous pour les camions, afin de limiter les temps d’attente. Transporteurs et donneurs d’ordre pourraient ainsi réaliser des économies substantielles et l’impact environnemental du port s’en trouverait réduit : si les temps d’attente sont fortement réduits, voire supprimés, les moteurs des camions n’auraient plus à tourner uniquement pour climatiser la cabine où patientent les chauffeurs.