THIERRY CALDERON (MARKETING MANAGEMENT OI) : « Les banques sont très en retard »
Fondateur et dirigeant de Marketing Management OI, lancé en 2015, Thierry Calderon accompagne des entreprises dans une transition numérique qu’il suit de très près. Son constat est sans appel : en la matière, le secteur bancaire est encore à la traîne.
L’Éco austral : Dans quel contexte a émergé Marketing Management OI ?
Thierry Calderon : Nous avons fait un constat simple : la transformation numérique est en route, et il faut prendre le train en marche immédiatement. Alors, nous nous sommes formés dans l’Inbound aux États-Unis, à Boston. L’inbound, c’est le marketing entrant qui consiste à ne pas chercher le client, mais à le laisser venir à nous. Depuis, forts de cette méthode, nous accompagnons ceux qui travaillent avec nous à gérer au mieux leur révolution digitale.
Comment cela se passe-t-il concrètement ?
En arrivant dans une entreprise, je dis toujours : « Il ne faut pas changer pour changer, mais plutôt, il faut changer parce que vos clients sont déjà en train de faire différemment. » La génération Z est une génération qui a appris à se désabonner de Netflix en deux minutes et à recevoir la réponse d’un colis perdu d’Amazon en moins de deux heures. Comment les entreprises centenaires répondent à ces nouveaux besoins d’urgence ? Souvent, elles sont à côté de la plaque.
Je suppose que le secteur bancaire n’est pas en reste ?
De par notre expérience, nous avons rapidement compris que la banque est encadrée par de puissants freins qui ralentissent sa progression numérique. Pour parler clairement : les banques sont considérablement en retard dans la course vers le digital. Sans doute qu’elles pensaient être « to big to fail » (trop grosses pour tomber – NDLR) et incontournables. Elles vivaient confortablement dans leur pré carré. Malheureusement, le constat est amer : c’est toujours le cas. La preuve, concernant notre offre de prestations, nous collaborons majoritairement avec le secteur industriel ; le milieu des assurances, lui, ne représente à peine que 5 % de nos clients, tandis que les banques n’ont même pas encore intégré l’idée de l’impératif du changement.
On a pourtant l’impression que les banques sont fortement impliquées dans le digital. Quels sont les freins dont vous parlez ?
Vous devez faire référence à l’Internet Banking qui est devenu incontournable, mais nous sommes encore loin d’une optimisation en matière de marketing, cet Inbound Marketing dont je vous parlais. Concernant les freins, j’en citerai trois. D’abord ce sentiment d’être un organe privilégié, intouchable, comme à l’écart des menaces et soubresauts du marché. En-suite, je pense que les difficultés de transformation du secteur bancaire sont aussi liées à une culture historique de gestion qui pèse sur l’ensemble de l’institution. C’est ce que je nomme souvent le système de silos, autrement dit la technocratie, cette incapacité à s’ouvrir à la souplesse. Enfin, le troisième frein, et non le moindre, c’est la protection informatique. À cause de la pression sécuritaire pour sauvegarder et mettre à l’abri les données numériques de ses clients, une banque est vouée à un état de végétation. En fin de compte, une banque en devient quasiment impossible à moderniser.
On a pourtant vu une réaction suite à la création des néobanques ?
Justement, le cas est frappant. Les banques se sont d’abord positionnées de façon flagrante dans une démarche défensive, sûres de leur capacité de résistance. Dans un premier temps, elles ont durement critiqué les banques en ligne… avant de les racheter ! C’est typique d’un schéma de pensée obsolète, de l’excès de confiance d’une institution surpuissante. Alors, comment venir et moderniser cela ? En ce qui concerne la fluidification des parcours clients, par exemple, les assureurs sont bien plus ouverts pour changer leurs méthodes. Finalement, ce qu’il faut se demander aujourd’hui c’est : est-ce qu’une banque traditionnelle répond vraiment aux attentes de ses clients ? Je n’en suis pas sûr.
Malgré tout, l’humain y est encore présent, ce qui reste essentiel pour certains. Pour une frange significative de la clientèle, on peut dire que la banque représente encore un socle, un repère, à l’image d’une transmission familiale ?
Oui, mais il y avait aussi la tradition dans une famille de conserver sa Peugeot de père en fils, et de toujours rester attaché à une marque, quoi qu’il advienne ! De nos jours, cela ne suffit plus. Vous avez raison de souligner cet ancrage, mais personne en 2023 ne veut attendre deux semaines avant d’avoir une réponse pour savoir s’il peut augmenter oui ou non son plafond de dépassement. De toute façon, l’intelligence artificielle, et par extension la révolution numérique, ne remplacera jamais l’humain. Soyons clairs : il y aura toujours de l’humain. Mais de nos jours, la valeur s’est déplacée ailleurs, les attentes sont autres. Dans la banque, les priorités actuelles sont restées la gestion du risque avant tout, puis vient la conformité et, en troisième position, au bout du compte seulement, le client. Dans une entreprise 3.0, l’expérience client est à l’inverse au cœur de toute l’exigence relationnelle.
L’obsolescence des banques traditionnelles serait donc inéluctable ?
Il faut nuancer cette fin programmée. Je pense que les banques d’hier ont encore de beaux jours devant elles. Elles représentent des institutions fortes, rassurantes, qui possèdent un pouvoir de réseau incomparable. Elles sont solidement implantées partout sur le territoire et jouissent de nombreux avantage que n’ont pas les circuits monétaires modernes. Seulement, pour rester aussi dominantes et conforter à l’avenir leurs parts de marchés, elles devront se plier à cette transformation numérique, sous peine d’être peu à peu submergées par les nouveaux acteurs.
La Réunion capitale French Tech : Campée autour de trois axes : fédérer, animer et rayonner, l’antenne pays de la French Tech regroupe une diversité d’acteurs croissante. Depuis son arrivée, les gérants de communautés, les acteurs politiques territoriaux spécialisés et les investisseurs intéressés se rencontrent, échangent et collaborent. Toujours en quête de la prochaine pépite entrepreneuriale, ces décideurs visent la mutualisation des actions innovantes sur l’île. Parmi eux, citons notamment l’association Webcup, qui cherche à accompagner les Réunionnais vers la transition numérique, Exodata, qui s’emploie à sécuriser les données locales, ou encore Vacoa, accélérateur qui se met en quête de financements pour les entreprises. Le résultat de ce dynamisme ambiant est l’élection, en février 2023, de La Réunion comme capitale French Tech pour la période 2023-2025 et, pour la première fois, pour un territoire d’Outre-mer. Une véritable consécration.