TOURISME D’AFFAIRES : Le fabuleux marché du MICE ne fait pas rêver tous les professionnels
Segment du tourisme mondial encore méconnu, celui du MICE (Meetings, Incentives, Conventions and Events) pèse 700 milliards de dollars. Maurice veut sa part du gâteau en s’appuyant sur son parc hôtelier de 13 511 chambres classées et sur de récentes mesures fiscales incitatives. Mais les
avis demeurent partagés chez les professionnels.
« Les clients MICE, qui occupent tout ou en partie de mon établissement, le quittent en général en même temps. Il nous est alors difficile de remplir rapidement ces chambres. Cela impacte mon taux d’occupation. » Cet opérateur hôtelier, qui souhaite rester anonyme, se montre plutôt réservé sur l’apport de cette clientèle qui se démarque des touristes de loisirs. Plutôt étonnant quand on connaît le poids économique du segment MICE sur le marché touristique mondial et la volonté affichée des autorités mauriciennes de s’y positionner. Mais cette réaction résume assez bien la problématique de certains hôteliers mauriciens.
Un marché de 700 milliards de dollars
Acronyme anglais, MICE (Meetings, Incentives, Conventions and Events) désigne l’ensemble des activités hôtelières et touristiques liées aux événements d’entreprise : séminaires, meetings, conventions, conférences ou encore séjours de team building. En français, on emploie plutôt le terme de tourisme d’affaires qui est moins précis.
Le marché du MICE se porte plutôt bien car il bénéficie à plein de l’engouement croissant des entreprises pour les événements corporate ainsi que de l’embellie conjoncturelle. Selon le World Travel & Tourism Council (le WTTC est un forum international dédié au tourisme), il représente, dans le monde, entre 650 à 700 milliards de dollars ! Rien qu’en France, les dépenses étaient estimées, en 2016, à plus de 8 milliards d’euros. Et cette tendance devrait se poursuivre. Selon le rapport Future Trends Meetings & Events, publié par CWT Meetings & Events (première agence d’événements en Europe), la demande de séminaires et d’événements a augmenté de près de 10 % en 2019. Et la tendance est mondiale.
En Afrique, qui ne capte qu’environ 2 % des 700 milliards de dollars du marché mondial du MICE, cela représente tout de même 14 milliards de dollars. C’est l’Afrique du Sud qui arrive en tête de classement.
Déjà 140 000 touristes MICE à Maurice
Selon l’Association internationale des congrès et conventions, Le Cap, avec 62 grands événements organisés en 2016, est suivi de Marrakech (Maroc), avec 19, qui est talonnée par… Kigali (Rwanda) avec ses 18 rencontres.
Maurice veut surfer sur cette vague. Et l’île dispose d’indéniables atouts : son parc hôtelier important et diversifié, ses infrastructures de bon niveau, sa population bilingue et son aéroport international bien connecté aux principales métropoles européennes et régionales. « L’île dispose même de quatre palais des congrès : le Swami Vivekananda Conference Centre à Pailles, qui peut accueillir jusqu’à 5 000 personnes, le Centre International de Conférences de Grand Baie (jusqu’à 600 délégués), le Freeport Exhibition de Mer Rouge (près de Port-Louis, qui peut recevoir jusqu’à 1 000 visiteurs) et le Trianon Convention Centre à Trianon, où peuvent se côtoyer 3 000 personnes », indique Arvind Bundun, directeur de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA).
De nombreux hôtels mauriciens proposent également des salles pour des conférences. Maurice a donc une carte à jouer dans ce secteur. Résultat ? « Huit pourcent à 10 % des arrivées touristiques à Maurice en 2018 sont liées à ce marché », se réjouit le directeur de la MTPA. C’est donc près de 140 000 touristes qui sont venus dans le cadre de conventions, ce qui n’est pas négligeable. L’Incentive Travel and Meetings Association (ITMA), l’organisation chargée du MICE sur l’île, a une lecture largement plus restrictive du marché puisqu’elle l’estime, en 2018, à 30 000 personnes pour une valeur, tout de même, de trois milliards de roupies (75 millions d’euros)…
Certains tour-opérateurs comme Connections ont bien compris l’importance du MICE. Créé en 1996 par l’Allemand Karl Braunecker, ce réceptif est sans doute l’un des premiers à avoir créé un département dédié. « Notre première opération MICE a eu lieu en 1997. Depuis, nous avons une équipe de 12 employés travaillant exclusivement pour ce secteur. Mais lors d’une opération, on peut facilement impliquer 30 à 50 autres salariés, comme des guides touristiques, des chauffeurs ou des employés dans la logistique », explique Stéphane Louise, Business Unit Manager de Connections. […]
Car le marché des conventions est en plein boom et on est loin de l’image des séminaires austères.
Une offre supplémentaire
« Il n’est pas rare que du team buildings et d’autres réunions se fassent sur la plage ou des endroits plus originaux encore. C’est aussi l’un des intérêts de ce segment, cela permet d’intégrer d’autres acteurs », précise Arvind Bundun. De fait, on pourrait imaginer que l’île puisse devenir un autre carrefour du MICE. Une idée qui s’est concrétisée avec les derniers Jeux des îles de l’océan Indien (JIOI) organisés en 2019. Maurice, qui accueillait leur 10e édition, avait fait le choix de ne pas bâtir de village olympique. Les délégations de sportifs des sept îles participantes avaient été logées, en pension complète, dans huit hôtels 4-étoiles et 5-étoiles retenus pour l’occasion : l’Inter-Continental Mauritius Resort, The Westin Turtle Bay Resort & Spa, The Ravenala Attitude, Le Méridien, le Trou-aux-Biches Beachcomber Golf Resort & Spa, Be Cosy Apart Hotel, Victoria Beachcomber Resort et Maritim Resort & Spa. L’un des critères de choix de ces établissements était, outre la capacité d’hébergement, leurs espaces de conventions dédiés. L’État mauricien a pour cela décaissé 150 millions de roupies (3,75 millions d’euros).
Malgré tout, « Maurice n’est pas une destination MICE », lance Stéphane Duvacher, le directeur de l’Intercontinental Resort Mauritius qui pourtant avait été le principal hôtel à accueillir des délégations lors des derniers JIOI. Outre ses 210 chambres, il possède avec l’Hibiscus Ballroom, l’une des plus grandes salles de convention de l’île (600 mètres carrés avec une capacité d’accueil de 500 invités). « Mais l’île a le potentiel pour le devenir. D’ailleurs 15 % de l’activité de notre business est lié au MICE au sens global », modère Jiri Benes, le directeur du marketing et des ventes de l’établissement, tout en reconnaissant que « l’île fait face à des problèmes structurels », le principal étant le coût de l’aérien.
L’éloignement géographique pose problème
Maurice fait face à la concurrence tarifaire d’autres destinations comme la Thaïlande. « Le prix du billet d’avion impacte le prix du package (hébergement et activités) dédié à l’événement lui-même. Avec 30 %, voire plus, du budget dans le billet d’avion, les organisateurs se détournent de notre destination car n’oubliez pas qu’on parle d’une centaine de délégués », ajoute Jiri Benes.
« Nous gérons principalement des incentives (voyages de récompense) et des conférences. Pour les incentives, la moyenne est d’environ 50 à 70 personnes, mais nous avons également des voyages avec 300 à 400 personnes. Quant aux conférences, elles génèrent en moyenne 200 à 300 personnes, mais cela peut monter jusqu’à 800, voire 1 000 personnes. Le budget moyen est d’environ 2 500 à 3 000 euros par participant, comprenant le billet d’avion et la partie terrestre (hébergement à l’hôtel, transferts, activités et événements) », explique le Business Unit Manager de Connections. De fait, un rapide calcul permet de comprendre comment le coût de l’aérien nuit à l’offre mauricienne.
Par conséquent, les principaux marchés visés sont l’Afrique du Sud et l’Inde, explique Jiri Benes. « Ce qui séduit nos clients sud africains, c’est la proximité géographique, la diversité de nos offres et surtout la sécurité de Maurice. Quant aux Indiens, même si le coût est supérieur à la Thaïlande ou aux Maldives, des pays où ces groupes ont l’habitude d’aller, la proximité culturelle représente l’un de nos atouts. »
« Pour Connections, l’Afrique du Sud est un marché très important et surtout en croissance. Mais notre marché principal reste l’Europe avec une clientèle de France et d’Allemagne, suivie de près par le marché britannique et même d’Europe de l’Est », souligne Stéphane Louise. L’autre problème rencontré est celui de la disponibilité des chambres. Selon Statistics Mauritius, il y avait, en 2018, 112 hôtels enregistrés, soit une capacité de 13 511 chambres classées et 29 650 lits. Pourtant, il est difficile pour un établissement hôtelier, même appartenant à un groupe, de réserver une centaine de chambres d’un coup. Et pour ces rares établissements se pose la difficulté de remplir rapidement les chambres quand elles sont libérées.
Dynamiser les arrivées
Conscientes des difficultés rencontrées par les opérateurs, les autorités mauriciennes ont présenté, lors de l’exercice budgétaire 2019-2020, plusieurs mesures pour favoriser la visibilité, l’attractivité et surtout l’accès au tourisme MICE, y compris l’organisation de mariages. Pour cela, elles ont présenté un Special Incentive Scheme, régime spécial incitatif qui comprend une allocation d’un maximum de 200 000 roupies (5 000 euros) aux organisateurs et, surtout, le remboursement de la TVA (qui est de 15 %) sur le séjour des groupes de plus de 100 étrangers qui passent trois nuits à Maurice. « Le remboursement de la TVA sur le logement pour les groupes MICE est une mesure forte qui va dans le bon sens », salue Jocelyn Kwok, le CEO de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM).
Stéphane Duvacher est du même avis, mais il ajoute que « pour réellement soutenir le secteur, l’État doit surtout être l’initiateur de conférences internationales ».
Rouslan et Ivan Lartisien, directeurs de Grand Luxury Group, pointent le doigt sur ce qui empêcherait Maurice de devenir une véritable destination MICE : « Outre la cherté du billet d’avion, il faut souligner l’absence d’événement organisé régulièrement et reconnu à l’échelle internationale. C’est cela qui ferait venir une clientèle corporate haut de gamme à Maurice. » Et les directeurs de Grand Luxury Group savent de quoi ils parlent. Leur entreprise propose une sélection des meilleurs hôtels dans le monde destinée à une clientèle fortunée qui privilégie les services supplémentaires et non la recherche d’un meilleur tarif.
Le marché des Big Fat Indian Wedding – ces mariages princiers à la bollywoodienne de riches Indiens – est estimé à près de 35 milliards de dollars et surtout croît de 25 % par an. Pour capter ce marché, outre ses atouts déjà mis en avant pour le MICE, Maurice joue aussi la carte de l’affinité culturelle et de la confidentialité pour cette clientèle huppée. Mais là encore, il n’est pas facile de se faire une place. Jean-Luc Manneback, directeur général d’Impact Production Group (IPG), l’une des principales entreprises mauriciennes dans le secteur de l’évènementiel assure qu’« à la belle époque (en 2010), Maurice recevait entre cinq et six grands mariages par année. Aujourd’hui, nous sommes à la moitié ». Les dépenses générées sont colossales. « Les bonnes années nous étions sur des montants qui devaient facilement flirter avec 55 millions de roupies (1 375 000 euros). En effet, ce sont souvent 200 à 350 invités, voire plus, qui font le déplacement. » Ces mariages se déroulent toujours sur plusieurs jours avec une quantité de fêtes somptueuses. Mais il n’est si facile de réserver un hôtel entier pour les accueillir.
En 2016, avec l’organisation du 27e Sommet de l’Union africaine, Kigali s’est hissé au troisième rang africain du classement de l’Association internationale des congrès et conférences pour le tourisme d’affaire. Pour arriver à ce résultat, preuve d’une stratégie dédiée au MICE, le Rwanda a créé en 2014 le Bureau des congrès. Et aujourd’hui, le MICE joue un rôle important dans la croissance du pays, générant 15 % des recettes touristiques totales. Il a rapporté 52 millions de dollars en 2018 contre 47 millions l’année précédente. L’objectif était d’atteindre 88 millions de dollars en 2019.