Vel Kadarasen 1969, année historique
Vel Kadarasen (Kadarasen Vadivelloo pour l’état civil) s’en est allé en janvier 2018, à l’âge de 85 ans. La mémoire photographique du quotidien mauricien L’Express pour lequel il a travaillé pratiquement depuis sa création, en 1963. Et quelles années ! La soixantaine de clichés présentés ici (*), quasiment tous en noir et blanc, nous replongent en 1969, dans une île Maurice indépendante depuis moins d’un an. C’est alors un pays plein d’espoir, confiant en son avenir, mais encore déchiré par les débats houleux, voire violents, qui l’ont traversé un an plus tôt. À noter que l’indépendance de l’île, le 12 mars 1968, est le résultat non pas d’un référendum, mais d’élections législatives où s’affrontent ceux qui prônent un modèle d’association avec Londres – proche d’un statut de « département d’outre-mer » comme sa proche voisine La Réunion -, et ceux qui veulent l’indépendance totale, mais en restant dans le Commonwealth.
L’album alterne des portraits de personnalités, comme le poète et journaliste Marcel Cabon, le cardinal Jean Margéot ou le premier Speaker, président de l’Assemblée législative, sir Harilal Vaghjee, mais aussi des « choses vues » glanées sur le terrain, comme la « calèche à 50 sous » ou le cireur de chaussures. Mais l’ouvrage met surtout en avant une atmosphère extrêmement politisée. Car 1969 est aussi la naissance du Mouvement militant mauricien (MMM), parti politique alors très à gauche. Sa manifestation contre la visite de la princesse Alexandra, petite-fille du roi George V et cousine germaine de la reine Élisabeth II, marquera son entrée fracassante sur la scène politique locale.
Autre événement politique, connu comme « l’incident de Curepipe », celui où Michel Debré, député de La Réunion et ministre français des Affaires étrangères, en visite dans l’île, monte sur la toiture d’une estrade officielle pour s’adresser à la foule venue l’écouter, toiture qui finira par s’affaisser… Derrière l’anecdote apparaît un Michel Debré qui a eu un rôle considérable – méconnu ou occulté – dans l’histoire moderne de l’île Maurice. C’est lui qui « pousse » le tout nouveau Premier ministre mauricien, Seewoosagur Ramgoolam, et le leader de l’opposition, Gaëtan Duval, à former une coalition « dans l’intérêt du pays », arguant qu’« un État jeune doit essayer d’unir ses forces vives ». Cet accord permettra un gouvernement d’union nationale par-delà les très fortes tensions socio-politiques… Cette unité posera les bases de la stabilité politique et permettre à certains entrepreneurs locaux d’émerger. L’ouvrage comporte ainsi, comme un hommage, les portraits d’Alex Fon Sing et Michel de Spéville, deux chefs d’entreprise qui ont façonné l’île Maurice post-indépendante.
(*) « 1969 », par Vel Kadarasen, chez Immedia (Rolleiflex Mauritius Photography), 64 pages, 600 roupies (12 euros). Disponible dans la plupart des librairies à Maurice.