VINCENT LE BALINER, PRÉSIDENT DU CLUB IMMOBILIER : « Des propositions pour relancer l’économie et l’emploi »
Entrepreneur spécialisé dans la commercialisation d’immobilier professionnel, Vincent Le Baliner vient de prendre la présidence du Club Immobilier qui regroupe des acteurs majeurs du secteur. Dans cet entretien, il livre une fine analyse du marché et présente
sa feuille de route…
L’Éco austral : Avant la crise, les prix moyens à La Réunion étaient grosso modo 200 000 euros pour une maison, 2 000 euros/ m2 pour un appartement et 200 euros/m2 pour le terrain à bâtir, avec évidemment d’importantes disparités géographiques. Avec la crise covid-19, les deux mois de confinement et le développement du télétravail, est-ce que les prix évoluent et est-ce que la demande des particuliers et des professionnels a évolué ?
Vincent Le Baliner : Il est notoire que nous avons à La Réunion plus de 200 microclimats et un climatologue ne peut donc pas faire un portrait météorologique unique du territoire. C’est la même chose en immobilier et parler de prix moyen a assez peu de sens. Cependant, plus d’un mois après le déconfinement, nous avons déjà un peu de recul sur le comportement des acquéreurs et l’état du marché, ce qui me permet de vous communiquer des grandes tendances.
Sur le marché résidentiel, les demandes de prêts se sont effondrées pendant le confinement et repartent à la hausse ces dernières semaines. Plus de 1 000 ventes ont été bloquées et, mises à part quelques annulations d’avant contrat, les dossiers reprennent leur cheminement. La principale raison des blocages a été la non dématérialisation des collectivités et des services de l’État qui accompagnent l’ensemble des démarches immobilières : droit de préemption, permis de construire, levée d’hypothèques… L’ensemble des acteurs privés télétravaillaient en partie alors que les acteurs publics, maillon indispensable de notre chaîne industrielle, ont eu plus de mal à organiser la continuité des services.
Quant à la question des prix, elle est nuancée. La demande des investisseurs reste très soutenue grâce à la valeur refuge de l’immobilier. Il n’y a pas de généralisation possible de l’évolution des prix car le marché est composé, comme vous le savez maintenant, de nombreux micromarchés, mais nous observons déjà quelques grandes tendances. En immobilier d’entreprise, il n’y a pas eu de hausse importante ces dernières années, la demande est soutenue, c’est un secteur important pour les investisseurs et l’offre reste faible : il n’y a donc pas d’évolution importante à prévoir En immobilier résidentiel, nous devrions observer des évolutions différentes selon les secteurs et un risque d’éclatement de microbulles locales, là où les prix avaient très fortement augmenté, pour les petites surfaces de la côte ouest notamment. La demande devrait être moins soutenue pendant quelques mois à cause des incertitudes et des conséquences économiques sur les budgets des ménages et leurs nouvelles priorités de consommation.
Comme vous le soulignez, on déplore un manque de locaux professionnels. Ce qui explique, au moins en partie, que le rendement locatif soit deux à trois fois supérieur à celui de l’Hexagone. Mais la crise et les fermetures d’entreprises ne vont-elles pas bouleverser le marché ?
Plus précisément, le rendement attendu par des investisseurs pour des actifs commerciaux au sens large se situe à La Réunion entre 7,5 % et 9 %. Il est, selon le département études de Cushman & Wakefield, de 2,80 % à 5,25 % en Île de France et de 3,50 % à 5,80 % en région. Malgré l’accompagnement très important de l’État et des banques pour amortir les effets économiques de la crise sanitaire, il est malheureusement certain que nous allons observer dans les prochains mois quelques défaillances d’entreprise. Cependant, La Réunion a des taux de vacance locative extrêmement faibles, sous le seuil d’équilibre pour chaque type d’actifs (bureaux, entrepôts, locaux d’activité et commerces). L’analyse de ces données conjoncturelles me laisse donc penser, assez objectivement, que le marché ne devrait pas être profondément modifié.
Certains professionnels du BTP dénoncent le fait que 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que les matériaux de construction coûtent 40 % plus chers qu'en Métropole. D'où une situation économique inextricable qui explique que la qualité de construction du logement social laisse à désirer. Partagez- vous ce constat ?
Le premier sujet d’une opération est le foncier. Savez- vous qu’il existe aujourd’hui officiellement plus de 80 opérations d’aménagement en cours ? Sur ces opérations, combien sont-elles réellement managées, suivies ? Au Club Immobilier, nous proposons de partir du travail de recensement qui existe pour avoir une vision exhaustive des terrains disponibles et co-construire avec les collectivités et les instances représentatives un plan de relance de ces opérations. Le coût des matériaux s’explique en grande partie par notre dépendance aux importations. L’actualité a fait la part belle au sujet des carrières de la NRL, mais elles sont aussi nécessaires pour la construction de maisons, d’immeubles sociaux ou privés. En parallèle, le Feder (Fonds européen de développement régional – NDLR), la Région Réunion et la Chambre de métiers accompagnent la mise en place de filières locales de production ou de transformation de matériaux, par exemple autour du bois. Les membres du Club Immobilier soutiennent et encouragent cette démarche en intégrant les solutions « péi » dans leurs opérations.
Un des faits d'actualité est le rachat de Vindémia par Groupe Bernard Hayot, ce qui m'amène à parler d'équipement commercial. On voit toujours le petit commerce en centre-ville en difficulté alors que la grande distribution a le vent en poupe. Quelle est votre analyse?
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, vient de confirmer qu’il ne remettrait pas en cause cette transaction qui ira donc à son terme. Il y a à La Réunion 1 300 000 m2 de surfaces commerciales en centre-ville et en périphérie, soit environ 1,5 m2 de commerce par habitant, ce qui est bien au-delà des moyennes métropolitaines. La question de demain n’est pas celle de l’opposition entre les commerces de centre-ville et ceux des centres-commerciaux, mais bien celle de la concurrence du marché numérique et des changements de mode de consommation des Réunionnais. Chaque emplacement a ses avantages et ses faiblesses et la proposition faite au consommateur doit être différenciante pour rester attractive. Nous avons, au Club Immobilier, chacun à notre niveau et dans nos différents corps de métiers, les compétences pour co-construire avec les collectivités afin d’apporter de réelles réponses aux questions d’attractivité des centres-villes.
Est-ce que la grande-distribution n'est pas hypertrophiée à La Réunion par rapport à l'industrie par exemple ?
L’offre économique s’adapte à la demande d’un territoire et à la capacité d’absorption de la demande du marché. L’industrie et l’artisanat doivent continuer à se renforcer localement ; ces secteurs sont créateurs d’emplois directs et indirects. Là aussi, inutile d’opposer les acteurs ! Au vu de la taille de notre territoire, il est nécessaire de jouer groupé. Le problème des entreprises de production ou de transformation vient de la faiblesse du parc de locaux d’activité (environ 800 000 m²) qui offre peu de disponibilités. Il y a eu dans les années 2000 de nombreuses créations de pôles dédiés à ces secteurs économiques qui ont été couronnées de succès. Je pense par exemple au travail d’Acti’Sem (Semader – Groupe CDC Habitat) avec les livraisons d’opérations à Petite Ile, au Port et à l’Aéroport. Opale Alsei, autre membre du Club, participe depuis une dizaine d’années à cette dynamique avec les livraisons de ses concepts « Innovespace » au Port et à Sainte-Marie. Mais la demande des entreprises est tellement forte que la vacance reste faible. Aussi, une création d’emploi dans l’industrie ou l’artisanat équivaut à un besoin d’environ 50 m2 de surface bâtie. La mise sur le marché de foncier économique, à Cambaie par exemple, est une des solutions de la baisse du chômage à La Réunion.
D'après vous, si je demande à mon banquier un million d’euros pour un investissement, mon crédit a plus de chance d'être accepté s'il s'agit d'un projet commercial, industriel, résidentiel ou culturel ?
Pour demander 1 million d’euros, il vous faudra nécessairement entre 100 000 et 200 000 euros de liquidités, le prêt représentant l’effet de levier de l’opération. Au-delà du type d’actif et de ses caractéristiques intrinsèques, l’accord sur le financement dépendra de la qualité du locataire, de sa capacité à honorer les loyers, de l’appréciation de votre connaissance sur ce type de marché et des garanties que vous pouvez y apporter. Le taux de rendement de l’opération d’investissement sera toujours proportionnel au risque que vous prenez en tant qu’investisseur. Vous devrez aussi vous poser la question de la division ou non de vos acquisitions. Vous l’aurez compris, il n’existe pas de réponse type à cette question et, si vous êtes néophyte, mon meilleur conseil est de vous faire accompagner dans cette démarche. Avec le Club Immobilier, nous travaillons à l’attractivité du territoire pour les investisseurs car ce sont des liquidités nouvelles importées, non délocalisables et injectées directement dans de nombreuses filières de l’économie locale.
Quel est votre avis sur l’offre hôtelière de La Réunion ? Est-elle adaptée à la demande ? Comment expliquer ces grands hôtels à l'abandon avant même l'épidémie, comme Le Maharani à Saint-Gilles-Les Bains et L’Hôtel des Thermes Cilaos ?
Nous avons remporté il y a quelques années le titre de « la plus belle île du Monde » décerné par un réseau social lié au voyage. Les « posts Instagram » de nos plages, pitons, cirques et remparts sont parmi les plus suivis, partagés et aimés ! L’offre de loisirs, de restauration et d’activités pour les touristes est diversifiée et très qualitative… Alors oui, nous avons tous les atouts pour réussir ! L’offre hôtelière a gagné de nombreuses chambres depuis une dizaine d’année, ce qui a permis aux compagnies aériennes d’augmenter les fréquences de dessertes et à toute une industrie de se développer, là aussi créatrice d’emplois non délocalisables. Pour répondre plus concrètement à votre question, nous invitons et encourageons les collectivités propriétaires de fonciers ou de murs d’anciens sites à co-construire avec les opérateurs privés. Une idée peut parfois être excellente mais non viable économiquement et nous, acteurs économiques, avons prouvé ces dernières années notre capacité à apporter notre pierre à l’édifice. Les compétences et les moyens publics et privés ne doivent pas s’opposer mais travailler conjointement pour la réussite du territoire, au service des habitants et du développement durable.
Il y a plusieurs exemples de reconversions réussies à La Réunion : les usines sucrières de La Mare et Savannah devenues des quartiers d'affaires, l'Espace Jeumont devenu la Cité des Arts, le site Foucque devenant un parc d'activité. Qu’en est-il du projet d’Éco Cité, sur l'emplacement de l'antenne Oméga ?
Le travail réalisé par CBo Territoria (membre du Club) à la Mare et Savannah est en effet exemplaire. Dix ans après la livraison des premières restructurations des sites usiniers, les entreprises s’y sentent bien et y restent. La Cité des Arts, réalisée par L’Atelier Architectes (autre membre du Club), est devenue un véritable lieu d’échanges, de rencontres et d’expositions qui faisait cruellement défaut dans la microrégion nord. L’ancien site Citroën Foucque, devenu Le « retail park » Le Village propose aux consommateurs de nouvelles enseignes et aux salariés du Chaudron et de la Technopole une nouvelle offre variée de restauration. Il s’agit de réelles vitrines pour le territoire. Concernant le projet de l’Éco-Cité, plus de 20 ans après la mise en place du syndicat mixte de Cambaie, le premier chantier n’a pas encore débuté alors qu’il s’agit là de la plus belle réserve foncière du territoire, permettant la création de logements et d’actifs professionnels. Le système français entraîne le cloisonnement des décisions et donc des avancées. Là aussi, notre proposition est limpide : travaillons ensemble, main dans la main, pour créer une référence indianocéanique de la ville tropicale !
Quelle est votre feuille de route en tant que président du Club Immobilier ? À quelle date a été reportée la « Nuit de l'Immobilier », initialement prévue le 28 mai ?
J’étais présent à la création du Club avec Laurent Guerrier, directeur océan Indien de la structure de promotion immobilière de GTOI. Laurent a été pour nos territoires et pour le Club en particulier un homme remarquable en déployant utilement son énergie et ses réseaux. Son immense talent l’a amené à être promu à des fonctions au siège parisien de Colas (Groupe Bouygues). Lors de notre prochaine assemblée générale, nous entérinerons sa nomination au poste de président d’honneur et la mienne en qualité de président.
Ma feuille de route est organisée autour du thème de la transmission que je peux décliner en trois phases. La reprise à court terme avec nos rencontres et des petits déjeuners « grands témoins ». Nous publierons prochainement des propositions pour fluidifier l’ensemble de notre chaîne industrielle qui est la construction et l’animation de la ville. Nous les partagerons et discuterons avec l’ensemble des responsables politiques et économiques intéressés par la démarche.
La Nuit de l’immobilier était, d’après les équipes de notre partenaire Lux, l’événement le plus important jamais organisé dans l’hôtel depuis son ouverture ! Au-delà du nombre, il est intéressant de réunir une grande partie du monde économique de La Réunion avec des investisseurs et des ambassadeurs de notre région. La deuxième édition aura normalement lieu le 5 novembre 2020 si les conditions sanitaires le permettent.
À plus long terme, nous travaillons au développement de la formation pour les jeunes de La Réunion. Le Business Game organisé en 2019 a été un révélateur de talents ! Le principe était simple : réunir autour d’un terrain des étudiants d’horizons et écoles divers, qui se préparent tous à rejoindre nos secteurs d’activité, et les faire travailler conjointement à l’ensemble des aspects de l’opération : architecture, commercialisation, usage… Nous le relançons pour l’année 2021, certainement avec plus d’écoles. En parallèle, nous souhaitons participer à l’amélioration des cursus afin de former localement des jeunes que nous pouvons intégrer dans nos entreprises.
Le Club Immobilier de La Réunion a vu le jour en 2016 à l’instigation de Laurent Guerrier (groupe Colas). Il est à l’origine,avec quatre autres clubs, de la création de la fédération française en janvier 2019. Il regroupe aujourd’hui une cinquantaine de professionnels qui ont réalisé ou participé à la réalisation de 95 % des opérations des territoires de Mayotte et de La Réunion en 2019. Des membres qui échangent périodiquement dans le but de construire une vision à 360° des opérations, au-delà des esprits de chapelle.