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Réunion

Allons-nous enfin vers une politique énergétique en faveur de l’autonomie ?

Un certain consensus semble s’être dégagé et surtout matérialisé, en début d’année, sous la forme d’une « Gouvernance Énergie ». Le but est de produire dès 2020 la moitié de l’électricité à partir d’énergies renouvelables et de se libérer complètement de l’énergie fossile en 2030. Cela passe par le développement de l’autoconsommation.

 

La nouvelle « Gouvernance Energie » est constituée de la Région Réunion, de l’État (représenté par son préfet), de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), du Département, d’EDF (Electricité de France) et du Sidélec Réunion (Syndicat intercommunal d’électricité). Elle a procédé le 21 janvier à la signature d’un Plan d’actions qui reprend les objectifs du SRCAE (Schéma régional Climat Air Energie) validés par le Conseil Régional en novembre 2013. Il s’agit d’atteindre 50% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique à l’horizon 2020 et 100 % en 2030.

GARANTIE DE FOURNITURE D’ÉNERGIE PHOTOVOLTAÏQUE : UNE PREMIÈRE MONDIALE

Le bilan annoncé pour 2013 par le gestionnaire de réseau, EDF, montre que la part des énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique est désormais de 37,8%, sur une production totale d’électricité de 2 813 gigawatt/heure. Mais la proportion admissible des énergies intermittentes, le photovoltaïque et l’éolien, est limitée à 30% par la réglementation en vigueur. « Dépasser ce seuil de 30%, grâce aux solutions de stockage et au développement de la garantie de fourniture, est le premier verrou à faire sauter », souligne Gaston Bigey, directeur de Nexa, l’agence de développement de La Réunion. Un appel d’offres de la CRE (Commission de la régulation de l’énergie), pour des projets apportant une garantie de fourniture, a permis au producteur français d’énergies renouvelables, Akuo Energy, de lancer récemment la construction d’une centrale solaire de 9 mégawatt/crête sur le site de la prison du Port. « C’est une première mondiale. L’interface logicielle constitue l’innovation et permet d’annoncer une production garantie définie en fonction de l’état du stockage et du potentiel d’ensoleillement pour un temps donné », annonce Julien Mathio, directeur des opérations de Akuo Energy. Cet opérateur continue d’opérer sur un modèle d’« agrinergie » associant photovoltaïque et production agricole et il gère aujourd’hui 7,5 mégawatt de puissance installée dans l’île en attendant un deuxième nouveau projet de 9 mégawatt/crête à l’Etang-Salé.

LE MANAGEMENT ÉNERGÉTIQUE PEUT RÉDUIRE DE 15% À 40% LA FACTURE

Les actions en faveur de la maîtrise de la demande en électricité (MDE), avec le concours de l’Ademe, ont porté leurs fruits puisque la consommation électrique par ménage a diminué à La Réunion. « La consommation totale des ménages ne suit plus la croissance démographique, il faut le souligner », relève Thierry Devimeux, secrétaire général aux Affaires régionales à la Préfecture. Elle a baissé de 2 points en 2012, à 41,5% de la consommation électrique de l’île, mais c’est aussi un effet de la crise. La croissance de la consommation globale se montre historiquement faible, à 0,31% en 2013, avec un taux de croissance en ralentissement depuis 2000, aujourd’hui divisé par quatre. En faveur de l’efficacité énergétique, l’ADIR (Association pour le développement industriel de La Réunion) s’efforce de promouvoir les outils de MDE dans le milieu industriel. « Nous sommes en partenariat avec l’Ademe et avec EDF pour sensibiliser au management énergétique qui est une approche vers la certification ISO 50001, explique Françoise de Palmas, secrétaire générale de l’ADIR. Avant même d’investir, on peut gagner en efficacité énergétique en consommant mieux. La Réunion peut aussi exporter de l’ingénierie en ce domaine, comme nous le confirme un programme ambitieux de MDE qui se met en place à Maurice, à la suite d’une sensibilisation et d’un diagnostic initié par l’ADIR. » La réduction de la facture énergétique s’échelonne de 15% à 40% suivant les cas, ouvrant de très bons taux de retour sur investissement.

LA COMBUSTION DE DÉCHETS VERTS FAIT ÉCONOMISER 10 000 TONNES DE CHARBON DANS LE SUD

Le groupe français Albioma (ex-Séchilienne-Sidec), qui gère les centrales thermiques à charbon et bagasse de Bois Rouge et du Gol et produit 60% de l’électricité de l’île, se spécialise de plus en plus dans la biomasse, en France et à l’étranger. Il réalise actuellement 30% de sa production à partir de bagasse et de photovoltaïque. « Nous menons une réflexion sur la réduction de 50% de l’empreinte carbone de La Réunion à l’horizon 2022, annonce Joël Théophin, directeur général d’Albioma Réunion. Réduire la dépendance énergétique, cela commence par nous-mêmes. Nous brûlons 600 000 tonnes de charbon qui provient d’Afrique du Sud, une quantité qu’il s’agit de réduire. Dès maintenant, en réponse à un appel d’offres de la Civis (Communauté intercommunale des villes du Sud), nous brûlons, dans la centrale du Gol, un broyat de déchets verts pour un apport annuel de 30 000 tonnes, soit une économie de 10 000 tonnes de charbon. »

 

FAIRE FEU DE TOUT BOIS POUR ATTEINDRE L’OBJECTIF 2020
 

Un gros projet d’Albioma dans le nord-est, SAE (Saint-André Energie), est également destiné à la combustion de biomasse. Mais les besoins sont pressants dans le Sud qui connaît le plus fort développement de l’île. La liaison haute tension entre Nord et Sud doit être renforcée. « L’approvisionnement dans le Sud sera déstabilisé si l’on n’y ajoute pas de production locale », avertit Joël Théophin. C’est pourquoi la CRE s’apprête à retenir, suite à une consultation, un projet de TAC (turbine à combustion) à construire dans le sud pour soutenir les pointes de consommation électrique. Akuo Energy, Albioma et le groupement réunionnais Energreen se trouvent en concurrence sur ce projet de 40 MW pouvant fonctionner au fioul aussi bien qu’au bioéthanol, issu de l’industrie sucrière. Néanmoins, ce carburant n’étant pas produit à La Réunion, les trois projets en compétition devront s’approvisionner à Maurice. En attendant le développement de biocarburants comme ceux qu’on peut tirer des micro-algues.
« Nous devons faire feu de tout bois pour atteindre 50% d’autonomie électrique en 2020, réitère Philippe Beutin, directeur de l’Ademe. Grâce à une dynamique de production décentralisée et de MDE. Nous travaillons avec les professionnels à peaufiner cette feuille de route. Le potentiel hydraulique peut être renforcé et l’usage de la biomasse fortement développé. Les énergies intermittentes bénéficient de l’apparition de la garantie de fourniture. La ressource géothermique fait l’objet de nouvelles prospections. Pour les énergies marines, nous mettons actuellement l’accent sur les projets de SWAC (Sea water air conditionning – prélèvement d’eau de mer en grande profondeur à des fins de climatisation, ndlr), à Saint-Denis et à Saint-Pierre. » Un projet de pompage d’eau de mer, dans le sud, utilisant de l’énergie disponible en heures creuses pour une restitution par turbinage à la demande, sera d’abord expérimentée par EDF à la Guadeloupe. Le potentiel est de 50 MW. Il n’en demeure pas moins qu’EDF a inauguré en 2013, au Port, une nouvelle centrale thermique fonctionnant au fioul et d’une puissance installée de 220 mégawatt. Un investissement de 500 millions d’euros. « Elle devra être amortie dans la durée », concède Philippe Beutin. Mais nous n’en serons pas plus, durant le forum, sur cette durée d’amortissement et ce choix stratégique, EDF n’ayant pas répondu à notre invitation.

LA NÉCESSITÉ D’UN FINANCEMENT POUR L’AUTOCONSOMMATION

La production d’origine photovoltaïque focalise toutes les attentions à La Réunion. Le passage du cyclone Bejisa, au moment du nouvel an, a démontré que les solutions d’autoconsommation présentent un intérêt unique pour les particuliers comme pour les professionnels. La Région Réunion accorde une aide de 6 000 euros aux foyers qui investissent dans une centrale couplée à des batteries de stockage par un logiciel de smartgrid (gestion intelligente). Pour un investissement net de 12 000 euros, une famille s’affranchit d’une facture annuelle d’électricité de 500 euros ou plus. Elle s’affranchit également de la hausse prévisible du coût de l’énergie, un avantage déterminant à moyen terme. Mais alors qu’une aide nationale (à laquelle contribue chaque consommateur d’électricité en France) permet à EDF de vendre l’électricité deux fois moins chère qu’elle ne coûte à produire, ceux qui investissent dans l’autoconsommation le font à leurs frais. « Pour nous permettre d’avancer rapidement vers l’autonomie électrique, l’autoconsommation a besoin d’un modèle économique qui soit viable, s’enflamme Gaston Bigey. Il serait irrationnel de refuser le financement d’une production d’énergie propre, qui contribue à la balance énergétique de la France, alors que l’électricité issue d’énergie fossile importée revient à 25 centimes du kilowatt/heure. » L’apport de l’autoconsommation, qui abaisse la pression sur le réseau, peut être considérable pour la balance énergétique insulaire, si un nombre important de particuliers y trouvent un intérêt. À titre de comparaison, 160 000 chauffe-eau solaires, individuels et collectifs, évitent aujourd’hui la dépense de 210 gigawatt/heure à La Réunion grâce aux incitations mises en place par l’État et les collectivités locales depuis une trentaine d’années.

Le système de péréquation nationale, qui fixe un prix unique de l’électricité pour tous les Français, se trouve déficitaire depuis 2009 et désormais abondé par 6 millions d’euros de fonds publics. Une opportunité d’avoir une nouvelle approche pour La Réunion, dans l’intérêt de l’île comme dans celui de l’État. « La Gouvernance Énergie rassemble différents acteurs économiques et c’est un vrai départ pour établir ensemble un programme d’investissements. Il y a des obstacles qui sont avant tout réglementaires et l’enjeu consiste à optimiser des modèles économiques pour la production, la consommation et la maîtrise de la demande, analyse Patrice Galbois, gérant de Corex Solar. Solliciter le bénéfice du fonds de péréquation pour financer l’autoconsommation peut être une solution. Il faut faire évoluer la règlementation de façon concertée. » Une réflexion nationale sur l’autoconsommation est déjà en cours et devrait se pencher sur le cas de l’Outre-mer. « Une des solutions semble être de demander l’expérimentation, sur notre territoire, d’un modèle de compensation pour l’autoconsommation car elle se développe hors de la contrainte de 30% d’énergies intermittentes dans le réseau, martèle Gaston Bigey. Nous devons mettre en place les processus administratifs et réglementaires ; se complaire dans une posture de souhait ne serait en rien constructif. » Le moment semble opportun. « Il faut mettre en avant un droit d’expérimentation, dès la fin mars, dans le cadre du groupe de travail national, en vue d’en définir le cadre », appuie Philippe Beutin.

« La question importante est de savoir si la prise en charge sera nationale ou confiée aux collectivités locales », interroge Christophe Murat, en charge à Nexa des dossiers relevant de l’énergie.

UNE INDUSTRIE ÉNERGÉTIQUE QUI PEUT AUSSI S’EXPORTER
 

« Il faut affirmer l’importance du développement d’une industrie énergétique réunionnaise et de savoir-faire locaux, d’une dynamique de clusters et d’un écosystème autour de l’énergie qui est à construire à La Réunion, renchérit Dominique Vienne, président du groupe Convergence, qui innove dans les domaines de la MDE, des véhicules électriques et figure parmi les partenaires du projet Energreen. Comment nos politiques publiques peuvent-elles créer davantage d’animation pour que les petites entreprises deviennent plus grandes ? S’il n’y a pas cette ambition, nous risquons de voir nos investissements annihilés et notre capacité de développement terrassée par de grands projets formulés hors du territoire. »
La création de DAK Industries prouve le potentiel de développement d’une industrie énergétique dans l’île. « Sur le marché de l’eau chaude solaire collective, il y avait 80 % d’importations et nous avons fait le pari de monter en 2013 cette unité de production pour un investissement de 1,5 million d’euros », résume David Amiel, gérant de l’entreprise. Accompagnée d’aides publiques, DAK Industries apporte une grande flexibilité aux contraintes techniques des projets et améliore considérablement le bilan carbone des produits par rapport à l’importation. « Les produits importés peuvent être moins chers, mais en incluant le TCO (Total cost of ownership) dans la définition des commandes, les acheteurs locaux peuvent favoriser, tout en respectant la législation, une production qui privilégie la qualité », pointe Dominique Vienne. 

Accompagnées par Nexa à Abu Dhabi, en janvier dernier, pour participer au Sommet mondial des énergies du futur (WFES), deux entreprises innovantes y ont représenté le savoir-faire réunionnais. « Nous travaillons sur la prédictibilité de la production pour les énergies renouvelables, explique Nicolas Schmutz, gérant de Réuniwatt. Notre objectif est d’exporter notre savoir-faire en pilotage intelligent de réseau avec des modèles économiques permettant à des opérateurs de s’engager sur des offres de production. » Pour sa part, la société Solar Trade a développé un système photovoltaïque d’intégré au bâti tropical et une solution de « smartgrid » pour gérer l’autoconsommation. « Nous nous développons désormais à l’export. Nous avons ouvert une agence en Afrique du Sud et notre première réalisation à l’étranger est une centrale photovoltaïque de 2,2 mégawatt qui couvre 30% des besoins du centre commercial de Bagatelle, à Maurice. Le coût de production est inférieur à celui du réseau », détaille Charly Bell, gérant associé de Solar Trade. Guy Walter, gérant de la société Dix Septembre, spécialisée dans l’accompagnement de l’innovation et dans l’ingénierie de développement de projets, développe une activité autour de projets collaboratifs dans l’île. « Nous entrons dans des particularités qui permettent d’enrichir le bilan et nous proposons des éléments supplémentaires de valorisation d’un projet. La MDE pour le bâti est une activité dynamique et la notion de TCO (Total cost of ownership, coût total de possession) progresse très rapidement. »

LES COLLECTIVITÉS LOCALES DOIVENT ÊTRE DES FACILITATEURS

En concertation avec la Communauté urbaine de Lille, en Métropole, la Cinor (Communauté intercommunale des villes du nord) étudie un projet de fabrication de carburant à partir d’ordures ménagères. « Pour la Cinor, le gisement de déchets fermenticides suffirait pour alimenter les transports urbains et scolaires et quelques usages en propre », révèle Jean-Marc Laurent, directeur adjoint de la Cinor. L’étude d’une solution de transports par câble, entre l’aéroport et les hauts quartiers de La Montagne, à Saint-Denis, est aussi annoncée avec le soutien de l’AFD (Agence française de développement). Une opération test de construction est envisagée pour faciliter le développement du projet Eco-logis, des habitations permettant l’autonomie énergétique. Enfin, la Cinor est facilitateur du projet de SWAC mené par GDF Suez pour la climatisation de bâtiments tertiaires et collectifs à partir d’eau froide des profondeurs marines. « Pour l’installation de pompage, pour le réseau de distribution urbain, mais aussi pour que l’opération puisse bénéficier à des projets annexes d’activités économiques de moindre importance », rappelle Jean-Marc Laurent. L’objectif de 50 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique réunionnais paraît désormais réalisable. Mais « le scénario de 100% à l’horizon 2030 demande à être précisé, pense Philippe Beutin, et laisse un peu à désirer en termes d’hypothèses. » La puissance installée existante présente l’avantage d’être un atout de sécurisation qui permettra d’appuyer la progression de solutions alternatives en phase de maturation.