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Michel Maffesoli : « Emmanuel Macron est un théâtreux »

Le sociologue était l’invité le 2 novembre du « Grand Forum », organisé annuellement par Groupama, le Crédit Agricole, SFR et Tereos. Un conférencier plein de finesse et d’impertinence pour cette 20e édition où l’on a beaucoup parlé des mutations en cours.

Michel Maffesoli détonne à plus d’un titre. Sociologue, ancien professeur à la Sorbonne, ami d’Edgar Morin, portant Borsalino et nœud papillon, il se définit comme un « voyeur sociétal aimant les livres et les bistrots ». Mais il ne faut pas se fier à son look : le regard qu’il porte sur notre société est terriblement ancré dans la réalité, très loin des divagations intellectuelles de certains universitaires.
« Tout passe, tout lasse, tout casse… mais, si l’on est observateur, des choses émergent. » Et c’est justement son métier : observer, froidement. Par exemple, prof à la Sorbonne de 1981 à 2012, il a vu un changement s’opérer : « Il y a trente ans, les élèves arrivaient avec Le Monde sous le bras ; plus personne ne le lisait les dernières années où j’exerçais ! »
Michel Maffesoli est arrivé à La Réunion le jour où l’actualité se focalisait sur la victoire de Jair Bolsonaro au Brésil et il se trouve que c’est un pays qu’il connaît assez bien, pour s’y rendre régulièrement. « Je n’aime pas le mot populisme […] 55 %, c’est une victoire nette. » Pour lui, on assiste, au Brésil comme ailleurs, à un phénomène de fond : la saturation de la population face aux institutions qui ne sont plus en phase avec leur temps, une « révolte des peuples ». Pour le sociologue, il ne faut pas analyser la victoire de Bolsonaro comme un vote protestataire, un vote « contre », mais bien l’expression d’une réelle volonté de changer de cap, c’est un choix parfaitement raisonné : « Provoquer = pour aller de l’avant […] La fin d’un monde n’est pas la fin du monde. »
À propos de La Réunion où il se rendait pour la troisième fois : « J’aime bien le mot mosaïque, c’est-à-dire qu’il y a une cohésion et une diversité. »
Quant à ses liens avec Emmanuel Macron, il tient à mettre les choses au clair : « Il est quand même le président de la République, on peut difficilement refuser son invitation. » Michel Maffesoli n’oublie pas ce qu’il doit à la République. Il est issu d’un milieu très modeste, son grand-père a immigré d’Italie en France en 1910, pour travailler dans les mines, son père aussi, dès l’âge de 14 ans. Mais il termine sa réponse de façon cinglante : « Pour moi, c’est un théâtreux ! » Un commentaire qu’il peut se permettre plus facilement depuis qu’il a pris sa retraite.
Le cours magistral a laissé place aux conférences, dont celle qu’il est venu donner à La Réunion sur le thème « La crise est dans notre tête » (le titre d’un des ses livres), dans le cadre du Grand Forum. Il a également donné une deuxième conférence, à l’Université, et il a dédicacé ses livres à la librairie Gérard.

L’agonie inéluctable de la modernité
Dans Être postmoderne, paru en janvier 2018 au Éditions du Cerf, Michel Maffesoli revient sur un sujet qui lui est cher et qu’il a déjà abordé tout au long d’une bibliographie impressionnante. C’est que la postmodernité met du temps à s’accomplir, mais nous sommes bien obligés de la vivre.  
« Certes, la modernité est lente à mourir, mais son agonie est inéluctable, écrit l’auteur dans son prologue. Les symptômes les plus manifestes sont là : tribalisme, nomadisme, hédonisme ! Le tout baignant dans une atmosphère émotionnelle échappant aux mœurs utilitaires d’une civilisation en déshérence. Voilà les caractéristiques essentielles de la mutation en cours. Et c’est hypocrisie ou lâcheté de ne pas en reconnaître l’étonnante actualité. C’est cela qu’il faut, sans se lasser dire et redire. »
Autant la modernité (XVIIe-XXe siècle) a été paranoïaque, autant la postmodernité est « épinoïaque » : non plus un homme éduqué pour être maître et dominateur, mais une co-initiation des hommes faisant partie intégrante de la nature.