DÉCÈS DE GÉRARD ETHÈVE : L’héritage d’un pionnier de l’aérien
Le père de l’aviation commerciale réunionnaise s’en est allé le 23 janvier, à 93 ans. Il laisse en héritage une conviction : La Réunion doit tenir en mains les commandes de sa desserte aérienne.
Gérard Ethève est décédé le 23 janvier dernier à 18 h 55 à la clinique Sainte-Clotilde, où il avait été transporté après une mauvaise chute dans son appartement dionysien. Son cœur de 93 ans était arrivé au bout du voyage. Il avait failli le lâcher une première fois en 1985, un pontage cardiaque avait alors offert une deuxième vie au fondateur de Réunion Air Service. En 1990, à un âge où l’on prépare habituellement sa retraite, il se voyait confier la présidence du directoire d’Air Austral, compagnie nouvellement créée par les collectivités locales réunionnaises et Air France. Il n’est pas, à proprement parler, le « fondateur d’Air Austral », expression spontanément associée à son nom, mais il a joué un rôle majeur dans l’élaboration du projet de compagnie aérienne réunionnaise aux côtés de Pierre Lagourgue, alors président du Conseil régional. Pilote réputé pour sa rigueur et son intransigeance – dire que Gérard Ethève avait une forte personnalité est un euphémisme – il avait créé RAS, première compagnie commerciale réunionnaise, en 1974, après avoir desservi les « îles météo » de l’océan Indien pour le compte de l’État pendant de longues années. C’est encore à lui que l’État a confié un avion de 32 sièges pour ouvrir la ligne Réunion-Mayotte, en 1977, après que cette dernière eut refusé l’indépendance comorienne. Seuls ses ennuis de santé l’obligèrent à lâcher le manche à balai et à vendre RAS à Michel Popineau en 1986. Devenue Air Réunion, la petite compagnie a ensuite servi de rampe de lancement à Air Austral. Dans son livre Ailes australes, paru en 2015 (1), Gérard Ethève fait le récit minutieux de son parcours, de la réussite d’Air Austral, devenue compagnie long-courrier en 2003, puis de l’enchaînement des difficultés qui ont conduit à sa démission en 2012.
Au-delà du formidable récit de vie, cette autobiographie dévoile le dessous des cartes de l’« aéro-politique » dans l’océan Indien et la conviction de son auteur : La Réunion doit tenir en mains les commandes de sa desserte aérienne. L’ouvrage gagnerait à être lu par tous les élus réunion-nais qui ont ou auront un jour à prendre part à un vote concernant les affaires aérienne de l’île !
Gérard Ethève a été successivement placé sous l’autorité de Pierre Lagourgue et de Paul Vergès, deux présidents de Région qui ne venaient pas du même bord politique mais partageaient une conviction profonde : les décisions prises à Paris ne servent pas forcément les intérêts de La Réunion, qui doit démontrer sa capacité à trouver les solutions à ses propres problèmes. Le fondateur de Réunion Air Service avait la même vision et aucun tiraillement n’a été à signaler entre lui et ses deux présidents, qui ont eu l’intelligence de ne « jamais livrer la compagnie aux manœuvre politiques » (Gérard Ethève dixit) en deux décennies d’histoire commune.
Dans Ailes Australes, il résume ainsi l’objet de cette convergence de vues : « Notre île se devait de soutenir le développement d’une entreprise de transport aérien qui l’ouvrirait sur sa région et le monde, en générant de l’emploi local et en élargissant le droit au voyage au plus grand nombre. » Entre les lignes, il fallait lire : « Ne surtout pas remettre son destin entre les mains d’Air France », compagnie qui régnait alors dans les cieux domiens.
Trente-trois ans après la création d’Air Austral, la question se pose en d’autres termes. Il ne s’agit plus de se demander si La Réunion a besoin d’une compagnie aérienne, mais de dire comment La Réunion peut aider cette dernière à retrouver la santé.
Gérard Ethève a souvent été consulté, ces deux dernières années, par les acteurs politiques et économiques qui s’attèlent à cette tâche. Il ne connaîtra pas la suite du scénario, qui va entrer dans une phase déterminante : les résultats de l’entreprise au terme de l’exercice 2023-2024 diront si l’équipage public-privé constitué pour piloter son redressement a choisi la bonne route.
(*) Ailes australes, une histoire réunionnaise, par Gérard Ethève. Epica éditions, 2015
L’homme de Maperine : « J’y ai passé ma vie, monsieur », répondait-il à qui l’interrogeait sur les anciennes installations aéroportuaires créées après la guerre près du village de Maperine, non loin de la mer. Le site accueillait l’aérogare, mais aussi l’aéroclub Roland Garros où, en 1952, Gérard Ethève eut la révélation de l’aviation après son baptême de l’air. Devenu chef pilote de l’aéroclub et en quête – déjà – d’indépendance, il fonde sa propre structure dans un hangar voisin en 1959 : l’aéroclub Marcel-Goulette. Quinze ans plus tard, c’est également à Maperine que Réunion Air Service prend ses quartiers. Lors de sa création en 1990, Air Austral s’installe dans les mêmes locaux. Gérard Ethève préfère regarder ailleurs, en 1993, quand les bulldozers achèvent de raser Maperine pour laisser la place à la piste longue. Le nouveau siège d’Air Austral sort alors de terre, de l’autre côté de la piste.
Derniers pionniers : Gérard Ethève était un des tout derniers pionniers de l’aviation dans l’océan Indien, ces hommes qui ont activement contribué à l’essor de l’aviation légère avant, pour certains, de diriger les premières compagnies commerciales. Ce fut notamment le cas d’Yves Lebret, fondateur d’Air Comores, disparu en 2002. Un autre ami et pilote de Gérard Ethève s’est éteint en avril 2023 à La Réunion : Claude Bouvier-Gaz, « zanatany » (2) de Madagascar. Chef-pilote instructeur de l’aéroclub de Tananarive, titulaire de milliers d’heures de vol au-dessus de la Grande Île, il avait terminé sa période malgache de façon particulièrement douloureuse, croupissant pendant cinq mois, en 1976, dans les geôles de Didier Ratsiraka. Le pouvoir accusait à tort le pilote d’avoir orchestré la fuite à Mayotte d’un de ses élèves en délicatesse avec la justice, à bord d’un avion de l’aéro-club. Aviation a toujours rimé avec aventure, pour le meilleur et pour le pire… Que de souvenirs s’échangeaient, le samedi matin chez Papangue ULM à Gillot, jusqu’à une époque très récente. Les « anciens » avaient pris l’habitude de se retrouver, comme au bon vieux temps de Maperine, dans le hangar de Jean Hily, petit-fils du premier pilote breveté sur l’île et fils de Claude Hily, autre familier des lieux, également disparu à l’âge de 93 ans, fin 2011. L’ancien président d’Air Austral était, bien sûr, très lié à Alain Hoarau. Avant d’écrire L’Histoire de l’aviation à La Réunion (1984), l’ingénieur du contrôle aérien donna bien des fois l’autorisation de décoller à Gérard Ethève, de la tour de contrôle où il officiait. Alain Hoarau est décédé en octobre 2022, à l’âge de 95 ans (voir L’Éco austral n°373). Du Pays basque où il s’est retiré, un autre vieux complice fait le triste décompte du départ de ses amis. Jean-Pierre Penette, 90 ans, lui aussi ancien pilote instructeur à l’aéro-club de Tananarive, est un archiviste hors pair. Son Livre d’or de l’aviation malgache, écrit avec sa fille Christine, est une référence et ses patientes compilations de tous les avions immatriculés à La Réunion et aux Comores n’ont pas d’équivalent. (2) « Zanatany » : mot pour désigner des non-malgaches, en particulier français, qui ont fait souche dans la Grande Île, parfois sur plusieurs générations. À rapprocher du mot « pied noir » attribué aux colons d’Algérie.
« Manager de l’année » 1998 : Air Austral n’était encore qu’une compagnie régionale, quand son président est élu début 1999 « Manager de l’année » 1998 par L’Éco austral, à la suite d’un sondage auprès de chefs d’entreprises réunionnais. Air Austral dessert déjà de nombreuses destinations dans l’océan Indien et connaît un fort développement. Sans doute Gérard Ethève réfléchit-il déjà au long-courrier, Mayotte-Paris et Réunion-Paris, deux projets qui finiront par se réaliser.
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