DIDIER GRAND, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRÉDIT AGRICOLE : « Pas de baisse des taux avant la fin 2024 »
Le directeur général du Crédit Agricole mutuel de La Réunion et de Mayotte fait le point sur le marché local du crédit à l’habitat, six mois après avoir alerté sur les risques de blocage du marché immobilier.
L’Éco austral : Après deux années de hausse, les taux d’intérêt bancaires vont-ils repartir à la baisse ?
Didier Grand : La Banque centrale européenne a arrêté d’augmenter ses taux en octobre dernier. Nous sommes, depuis, sur un plateau. Les marchés anticipent une baisse des taux pratiqués par les banques, mais n’oublions pas que les effets des décisions de la BCE se font ressentir avec retard, jusqu’à 18 mois à La Réunion. Pour ma part, je n’imagine pas une baisse des taux du marché, limitée à 0,25 % ou 0,50 %, avant la fin 2024. Il ne faut pas confondre arrêt de la hausse des taux, baisse des taux et baisse des prix de l’immobilier qui, sur l’île, ne pourra être marquée compte tenu de la rareté du foncier.
Comment s’est comporté le marché local du crédit à l’habitat en 2023 ?
De nombreux acteurs ont resserré leur politique de distribution du crédit, certaines banques sont complètement sorties du marché de l’habitat et ont essayé d’y revenir en fin d’année en faisant des coups ponctuels. Le Crédit Agricole, en revanche, a fait davantage de prêts immobiliers en 2023 qu’en 2022, notre part de marché est passée de 30 % à 40 %. Cela résulte d’un choix politique : nous avons pris le risque de proposer du crédit à taux négatif et refusé de faire du stop and go, pour ne pas contribuer au blocage du marché. Nous commercialisons même le Prêt à taux zéro de l’État, malgré la complexité de sa gestion ; nous avons également proposé une offre spécifique de PTZ sur nos propres fonds.
Quelles ont été les conséquences d’un argent plus cher sur le marché immobilier ?
Le volume de transactions a baissé de 16 %, ce qui est peu par rapport à certaines régions métropolitaines où il a chuté de près de moitié. Le marché de la primo-accession est resté stable, grâce à une demande forte qui commence seulement à décélérer. Nous n’avons pas constaté de baisse de prix, même si les temps de vente s’allongent. Un tassement s’est tout de même produit sur les biens du haut de la gamme, supérieurs à 600 000 euros. Mais dans cette catégorie, les vendeurs n’ont en général pas d’urgence. Je ne crois pas du tout à un effondrement du marché immobilier réunionnais en 2024. En revanche, il faut être attentif à la promotion immobilière, qui est en train de s’enrayer. Les banques deviennent plus exigeantes sur les pourcentages de pré-commercialisation et les apports personnels des associés.
Les banques n’ont-elles pas les moyens de relancer la machine ?
Les 10 milliards d’euros d’épargne disponible détenus par les Réunionnais dans les banques de la place ne suffisent pas à financer les crédits qu’elles octroient (20 milliards d’euros d’encours). Elles doivent aller se refinancer sur le marché. Or la BCE resserre actuellement l’accès à la liquidité, soucieuse de réduire son bilan après avoir créé des milliards d’euros de dettes sans valeur économique depuis la crise covid. Sa capacité de refinancement des banques va se réduire, l’offre de crédit de ces dernières pourrait diminuer de 20 % à 30 %. Le marché du crédit à l’habitat, le moins rentable, pourrait en souffrir. Les emprunteurs n’ont d’autre choix que de bien préparer leur projet immobilier, en utilisant notamment le PEL (Plan épargne logement NDLR) pour constituer un apport personnel améliorant la solvabilité. Un phénomène d’effort intergénérationnel via le PEL semble d’ailleurs apparaître.
Le taux maximal d’endettement ne reste-t-il pas un frein à l’accès au crédit ?
Aucune banque n’a intérêt à surendetter ses clients, mais nous n’avons toujours pas réussi à convaincre qu’il valait mieux prendre en compte le revenu disponible, plutôt que le taux d’endettement facial, pour octroyer un crédit. 35 % d’endettement quand on gagne le Smic, ce n’est pas la même chose que 35 % d’endettement quand on gagne 5 000 euros. Nous sommes autorisés à dépasser ce critère pour 16 % de notre production sur la résidence principale, et pour 4 % sur l’investissement locatif, mais avec des exigences telles que cette exception est très complexe à gérer.
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