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république bananière ©stocklib:ceribreeze
Maurice

Élections : le refus d’une république bananière

Si la défaite du pouvoir en place n’a pas vraiment surpris lors des élections générales du 10 novembre, on ne s’attendait à pas une défaite du gouvernement sortant dans toutes les circonscriptions. Cela peut s’expliquer par le fait que les Mauriciens ne veulent pas voir leur pays devenir une république bananière.

Il y a vingt ans, on rêvait encore de faire de Maurice le « Singapour de l’océan Indien », mais le rêve s’est dissipé au fil du temps. Et depuis quelques années, on craint plutôt de voir le pays devenir une république bananière. Bien sûr, les producteurs de bananes ne sont pas concernés, mais ce pourrait être les gros trafiquants de drogue et une police devenant politique. Durant le mandat de l’équipe sortante, de multiples scandales ont défrayé la chronique et le pouvoir est devenu de plus en plus autocratique, muselant l’opposition au Parlement et tentant de contrôler le pouvoir judiciaire. Certes, ce dernier a pu maintenir une certaine indépendance et la liberté de la presse est encore une réalité, elle ne fait pas de cadeau d’ailleurs au pouvoir politique. Mais on a assisté à une dérive qui a terni l’image de Maurice qui, jusqu’alors, était une référence en Afrique en matière de démocratie.

On peut dire que la défaite de l’équipe sortante dans toutes les circonscriptions est davantage son rejet qu’une adhésion massive au tandem Ramgoolam-Bérenger qui, il y a dix ans, avait subi une cuisante défaite. Mathématiquement parlant, il devait pourtant l’emporter, mais la politique n’est pas de la mathématique. Les deux leaders historiques, Navin Ramgoolam, âgé aujourd’hui de 77 ans, et Paul Bérenger, âgé de 79 ans, ont vécu leur traversée du désert avant leur retour en force. En effet, c’est la troisième fois dans l’histoire de Maurice qu’une alliance l’emporte dans toutes les circonscriptions. Le peuple, « souverain d’un jour », s’en est remis à leur expérience et a refusé toute autre alternative. On a vu d’ailleurs avec l’élection de Donald Trump que l’âge n’est plus un handicap.

Le gouvernement sortant a pris des décisions irréfléchies qui ont sans doute accentué sa défaite. Donnant l’impression d’être pris de panique, il a tenté de museler les réseaux sociaux parce qu’ils diffusaient des informations dérangeantes pour lui. Il avait la prétention de les bloquer jusqu’au lendemain de l’élection. Mais devant le tollé général et le ternissement de l’image de Maurice à l’international, il a dû rétropédaler. Le mal était fait néanmoins, à son encontre.

Pour autant, son bilan n’est pas négatif dans tous les domaines, il a pesé surtout sur le social en augmentant la pension universelle de vieillesse et le salaire minimum et a mené de grands travaux, comme la réalisation du Métro Express. Mais son bilan économique est plus mitigé, marqué par le manque de concertation avec le secteur privé qui a dû supporter une CSG annoncée en pleine crise de la covid-19. Sans parler du salaire minimum qui représente, certes, une avancée sociale, mais remet en cause la rentabilité de certaines entreprises. Ce qui fait que l’industrie remonte difficilement dans le PIB, concédant toujours plus de place au secteur des services et aux importations. Il ne fait pas de doute, non plus, que la pension universelle de vieillesse va représenter un gouffre financier de plus en plus profond à mesure que la population vieillit. On estime qu’en 2060, 40 % des Mauriciens seront âgés de 60 ans et plus. Au final, ce sont les nouvelles générations qui devront payer la note, du moins ceux qui seront restés à Maurice car les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’expatrier. Si l’on ajoute le fait que la population ne connaît plus de croissance naturelle, le pays est contraint de faire appel à des travailleurs étrangers et le phénomène va s’accentuer. Dans ce contexte compliqué, il manque une vision politique de l’avenir, telle qu’on a pu la connaître après l’indépendance. On a parlé alors du « miracle économique mauricien ».

Le grand âge de Navin Ramgoolam et de Paul Bérenger leur permet de prendre du recul et d’être moins tenus par les contingences de la politique politicienne. On espère qu’ils sauront s’entourer et faire émerger une « vision » qui pourrait de nouveau faire rêver les Mauriciens. Et aussi, bien sûr, qu’ils sauront préparer leur relève.   

  • Alain Foulon

    Après des études d’histoire et une école de journalisme, Alain Foulon fait souche dans l’océan Indien en 1983, se spécialisant dans l’information économique et la vie des entreprises. C’est ainsi qu’en 1993, il fonde le mensuel L’Éco austral qui est implanté à La Réunion, à Maurice et à Madagascar.

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