Madagascar : la campagne de la récolte du litchi s’ouvre sur des allégations de corruption
C’est dans une atmosphère particulièrement électrique que s’ouvrira ce 22 novembre la campagne de la récolte du litchi dans les deux principales régions productrices de l’île : Antsinanana à l’est, Analanjirofo au nord-est. En cause, un communiqué de l’ONG Transparency International (TI) et de son chapitre Transparency International – Initiative Madagascar qui annoncent avoir saisi le parquet national financier en France et le Pôle Anti-corruption de Madagascar (PAC), en vue d’« enquêtes sur d’éventuelles actions criminelles (commises) par des entreprises et particuliers impliqués dans le commerce malgache du litchi. »
Un commerce « opaque », estime l’ONG alors que le pays est depuis les années 1990 le premier exportateur de ce fruit en Europe, pour un chiffre d’affaires estimé à 25 millions d’euros en 2021. C’est précisément au niveau des exportations que Transparency International affirme avoir relevé au cours de dix années d’enquêtes de nombreuses infractions potentielles, faisant intervenir la « corruption transnationale, les accords illégaux, la fraude fiscale, le blanchiment et la dissimulation de telles infractions ».
Une allégation qui met en cause un certain nombre d’opérateurs français et d’organisations malgaches exportant vers l’Union européenne (UE), mais également l’île Maurice à travers la Litchi Trading Company (LTC) Ltd. Créée à l’instigation du Groupement des exportateurs de litchi (GEL), cette société joue officiellement un rôle d’intermédiaire commercial entre le GEL et les entreprises françaises. Pour autant, l’ONG s’interroge sur son rôle exact, suspectant qu’un réseau transnational du litchi fonctionnerait, imposant depuis l’extérieur ses tarifs et ses pratiques opaques. « Les bénéficiaires effectifs et les bénéfices de la LTC sont inconnus du public », regrette Ketakandriana Rafitoson, directrice exécutive de Transparency International Madagascar, ce qui justifie, selon elle, une « enquête plus approfondie ».
Agriculteurs malgaches et clients européens lésés
« Lorsque de grandes sociétés multinationales acquièrent une influence indue sur les marchés étrangers, cela porte un coup majeur aux institutions publiques et aux économies vulnérables », fait valoir l’ONG. Tout le monde est perdant à terme : « Les agriculteurs malgaches gagnent moins tandis que les clients européens paient plus pour des litchis dont la qualité a chuté sans concurrence loyale – tout cela au profit de quelques acteurs influents. » De fait, les exportations de litchi vers l’UE ont chuté de près de moitié depuis 2009 : 24 000 tonnes en 2009 contre 14 500 tonnes en 2021. De fait, les importateurs se tournent vers d’autres pays offrant une meilleure qualité, des prix plus bas et davantage d’opportunités. C’est précisément pour protéger les petits producteurs que l’État malgache a fixé cette année un prix plancher de vente de 1 300 ar (0,29 euro) le kilo, sachant toutefois que le prix de vente à l’exportation peut être de 60 000 ar (15 euros) le kilo, principalement destinés aux intermédiaires.
Le Groupement des exportateurs de litchi réfute toutes ces allégations, rappelant que la LTC n’est à la base qu’un simple « outil commercial », créé uniquement pour pouvoir avancer les 9 millions d’euros que coûtent les deux bateaux frigorifiques chargés de transporter le litchi de Toamasina (Tamatave) aux ports européens, faute pour les exportateurs de pouvoir bénéficier de prêts bancaires à Madagascar ou en France. Quant à ses rapports avec les importateurs, le GEL affirme les choisir uniquement sur appel d’offres et dans la plus totale transparence, ce qui exclurait, selon lui, toute possibilité de corruption, blanchiment et détournement d’argent.
La polémique s’inscrit dans une crise structurelle du litchi malgache étalée sur plus de dix ans, mais que viennent aggraver cette saison les aléas climatiques et le contexte de la guerre russo-ukrainienne. L’Europe a commandé moins de litchis cette année et le chiffre des exportations ne devrait guère dépasser les 12 000 tonnes, selon les observateurs. Un business de moins en moins juteux.