NOMINÉ TECOMA AWARD : Arnauld Boulard, locomotive de l’animation réunionnaise
Fondateur de Gao Shan Pictures il y a neuf ans, Arnauld Boulard porte haut les couleurs de l’animation réunionnaise. Reconnu pour la qualité de ses créations, le studio de Saint-Gilles affiche son ambition de développement international.
Ces dernières années, le nom de Gao Shan Pictures a souvent été prononcé lors du festival d’Annecy, principal rendez-vous français de l’année pour le film d’animation. En juin dernier, deux longs-métrages auxquels le studio d’animation avait collaboré étaient en compétition et son projet L’Hiver du feu sacré avait été sélectionné dans la catégorie Work In Progress, pour être présenté à des financeurs potentiels. Lors de l’édition 2022, Gao Shan avait présenté au marché international du film d’animation le projet Les Gardiens du feu, adaptation d’un roman du philosophe-agriculteur Pierre Rabhi. Au même moment, Le Petit Nicolas était en compétition officielle : le récit adapté de l’œuvre de Goscinny et Sempé avait été en grande partie fabriqué par Gao Shan Pictures.
Depuis 2017, le travail du studio réunionnais est chaque année récompensé à Annecy par un prix, hormis 2020, triste millésime d’une édition en ligne. Le visage d’un homme est devenu familier sur le podium du festival : celui d’Arnauld Boulard, fondateur de Gao Shan Pictures. C’était en 2014. Celui qui se définit comme « agrégateur de talents, entre l’art et la technologie » est arrivé dans l’animation en 2005 après un parcours diversifié dans les industries créatives. Responsable du développement international de Mac Guff, spécialiste français des effets spéciaux au moment de son rachat par Universal, il a notamment contribué à la localisation en France de la production de Moi, moche et méchant.
Le choix de La Réunion
Arnauld Boulard doit sa venue à La Réunion à une rencontre avec Alain Séraphine en 2011, lors d’une table ronde à Pékin. Le directeur de Pipangaï Production parvient à le convaincre, deux ans plus tard, de participer à Adama, un projet de long-métrage d’animation. Il s’installe sur l’île début 2014. Le film est terminé l’année suivante, il connaîtra un beau succès dans les festivals. Son directeur de production fait alors le choix de rester pour développer Gao Shan Pictures. « J’aurais pu repartir, une offre d’emploi à Sydney me convenait parfaitement. Mais pourquoi aller ailleurs ? L’environnement multiculturel de La Réunion m’intéresse, c’est une société où l’on se dit encore bonjour. De plus, il y avait une super équipe. »
Après Adama, Arnaud Boulard s’engage en tant que coproducteur aux côtés de Pipangaï dans Zombillénium, l’adaptation en 3D d’une bande dessinée à succès d’Arthur de Pins. Le film est sélectionné au festival de Cannes 2017, à celui d’Annecy, nominé aux Césars 2018. Dès lors, le fondateur de Gao Shan Pictures décide de se structurer et prend ses quartiers à Mont-Roquefeuil, sur les hauteurs de la station balnéaire de Saint-Gilles. Depuis, la liste de ses réalisations s’allonge et le studio réunionnais se fait une place au soleil de l’animation française. Plusieurs réalisations auxquelles il contribue – Funan, J’ai perdu mon corps… – obtiennent de belles reconnaissances internationales : grand prix de la semaine de la critique à Cannes, Cristal du festival d’Annecy, César du meilleur film d’animation et même une nomination aux Oscars…
Pendant les périodes de pointe, jusqu’à 70 personnes travaillent dans les locaux de Saint-Gilles. « Nous savons nous adapter aux besoins des réalisateurs qui ont une certaine exigence artistique, commente Arnaud Boulard. Nous ne faisons jamais deux films qui se ressemblent, nous aimons les belles histoires, celles dont les valeurs nous correspondent. Nous ne nous positionnons pas sur de l’entertainment grand public, on a envie de faire autre chose que de prendre du temps de cerveau aux enfants. »
Développement à Maurice et à Madagascar
Il a ouvert une filiale à Angoulême en 2021, s’investit dans le lancement d’un campus Rubika (voir notre hors-texte) pour former toujours plus de Réunionnais aux métiers de l’animation et augmenter la part de collaborateurs locaux à Mont-Roquefeuil, qui plafonne actuellement à 30 %. L’entrepreneur affiche également une ambition régionale. À Maurice, où il n’existe pas réellement de production d’animation, Gao Shan Pictures forme actuellement des jeunes et travaille à structurer la filière. Objectif à terme : répondre aux besoins de producteurs d’animations 2D qui confient certaines étapes de fabrication à des studios de Malaisie ou des Philippines. À Madagascar, un petit studio malgache est mentoré par son homologue réunionnais.
Arnauld Boulard, comme tous les studios français, jongle avec un mode de financement basé sur les aides régionales couplées aux enveloppes du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Gao Shan Pictures a aussi fait partie des 23 sociétés dont le fort potentiel de développement a été repéré en 2021 par le CNC et Bpifrance et qui ont bénéficié d’un accompagnement dans le cadre de l’Accélérateur cinéma-audiovisuel.
Gao Shan signifie « haute montagne » en mandarin. Arnauld Boulard avoue un tropisme asiatique. La montagne est haute, mais il ne désespère pas d’en atteindre le sommet, par exemple en faisant aboutir un des projets de long-métrage. Il s’est armé de patience : dans l’animation, cinq à sept ans d’efforts sont nécessaires entre la naissance d’une belle histoire et sa sortie en salle.
Un campus Rubika en 2024 : En mai dernier, lors du festival de Cannes, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak l’a annoncé officiellement : le projet de création d’un campus Rubika, proposant des formations de niveau Bac+5 en jeu vidéo et animation 2D et 3D, sera soutenu dans la cadre du plan de réindustrialisation France 2030. Il est porté par Gao Shan Pictures pour l’animation, le studio Pitaya de Loïc Manglou pour le jeu vidéo, avec le soutien de l’ incubateur Seeds de Rémi Voluer. L’école Rubika a été fondée en 1988 à Valenciennes. Reconnue comme une référence mondiale dans son domaine, à l’image de l’école des Gobelins, elle essaime progressivement son savoir-faire en créant de nouveaux campus (à Montréal, en Inde, au Kenya). « Quand nous leur avons proposé d’en ouvrir un à La Réunion, ils ont tout de suite accepté, relate Arnauld Boulard. L’aide de France 2030 va nous permettre de financer le lancement, en attendant d’arriver à l’équilibre. Nous sommes en phase de recrutement de la direction pédagogique et du choix de l’implantation. » Les élèves seront sélectionnés sur concours. En septembre 2024, l’école en accueillera 30. À terme, ils seront 220, répartis sur les cinq années d’études.