SIX MARCHÉS DU CIMENT SOUS SA RESPONSABILITÉ : Le gros challenge de Heba Capdevila à la tête du groupe Cementis
D’origine espagnole (catalane plus précisément) par son père et égyptienne par sa mère, Heba Capdevila, mauricienne d’adoption depuis 1995, dirige Cementis, issu du rachat par le groupe mauricien Taylor Smith de LafargeHolcim Océan Indien. Un gros challenge puisque cela concerne six marchés très différents les uns des autres.
L’Anglais Chris Harker, recruté pour diriger le groupe Cementis en juillet 2021, ne sera finalement resté en poste qu’à peine un an et demi. Bien sûr, son employeur n’a fait aucun commentaire sur ce départ. Chris Harker affichait une belle expérience dans le secteur du ciment à l’international, même si elle commençait à dater. Mais il ne parlait pas français, ce qui est un peu gênant quand on est en charge des activités à La Réunion, Madagascar, Mayotte et aux Comores. Ce n’est pas le cas d’Heba Capdevila à qui Colin Taylor, patron du groupe Taylor Smith, a confié les rênes du groupe suite au départ du patron anglais.
Une « fille de l’océan Indien »
Cette Espagnole, mauricienne d’adoption depuis 1995, n’a rien d’un joker. Elle occupait déjà les fonctions de Chief Operating Officer (directrice opérationnelle) au sein du groupe Cementis et de directrice générale de Cementis Maurice. Elle évolue d’ailleurs auprès de Colin Taylor depuis 2002 et a participé à la structuration de son groupe en 2004. Elle a aussi travaillé sur le projet de rachat des activités de LafargeHolcim qui souhaitait se désengager de l’océan Indien. Cette vente a été officialisée en octobre 2021.
Heba Capdevila, âgée de 53 ans, c’est donc du « béton armé », sans vouloir faire un jeu de mot trop facile. Mais il est vrai que son parcours et ses origines métissées conviennent bien à l’océan Indien. Son propre mari est issu d’un père mauricien et d’une mère irlandaise. Dotée d’un MSc (master of science) en développement organisationnel, obtenu en Angleterre, elle connaît bien les pays du Golfe, ayant des parents à Oman et à Dubaï. À Maurice, en 1995, elle commence par évoluer au sein du groupe CMT, un poids lourd de l’industrie textile, comme directrice des ressources humaines, pendant trois ans et demi. « CMT, c’était la meilleure école pour moi. J’y ai appris le créole et compris la réalité mauricienne. J’ai conservé des liens avec mes collègues de cette entreprise », commente Heba Capdevila. En 1999, elle gère des activités de Duty Free à l’aéroport de Maurice pour le compte de la British Airport Authority pendant plus de trois ans. Elle s’arrête ensuite de travailler lors de la naissance de son premier enfant. Et puis, un beau jour, Colin Taylor la contacte. « Je ne le connaissais pas, mais il avait entendu parler de moi. Il m’a proposé un poste de DRH, le début d’une grande aventure au sein de son groupe. » Elle y occupera différents postes : directrice stratégie et développement et directrice opérationnelle et sera au cœur du développement régional du groupe. Au point de se sentir une « fille de l’océan Indien ».
Dans le viseur : du ciment bas carbone
Aujourd’hui à la tête du groupe Cementis, le challenge est énorme car l’entreprise évolue sur six marchés très différents les uns des autres avec leurs propres marques de ciment et des directeurs généraux qui sont à la manœuvre.
L’historique n’a pas été effacé et les actionnaires minoritaires sont toujours là, comme le groupe Cananga et Colas à Mayotte, de même que le équipes. À Maurice, l’ex-directeur général de Lafarge, Urs Straub, a continué de travailler comme consultant de Cementis après le rachat de son entreprise et il occupe le poste de Chief Operating Officer depuis six mois. Aujourd’hui, le grand défi d’Heba Capdevila, c’est « d’être compétitif, mais aussi d’innover et de réduire l’empreinte carbone ». Un département Recherche & Développement a été créé pour l’ensemble du groupe et une Chinoise a été recrutée à Maurice pour le diriger, en lien avec les laboratoires de La Réunion, de Mayotte et de Madagascar. « Il faut déjà s’assurer que nous avons les bons équipements », souligne la dirigeante du groupe. Le but est de produire du ciment bas carbone, mais aussi de répondre aux besoins. À Madagascar notamment où le projet d’une nouvelle usine est à l’étude alors que la Grande Île s’affiche comme le premier marché avec un million de tonnes. Ce pays a l’avantage de détenir les matières premières, en particulier le calcaire, nécessaires à une cimenterie.
Cementis devra compter néanmoins avec son compétiteur Kolos dont l’actionnaire majoritaire est le groupe mauricien Gamma. Ce-lui-ci planche sur un projet d’usine pour 2024.
À La Réunion, Cementis joue la carte de la production locale puisqu’il importe du clinker et réalise des assemblages avec des matières première locales. Mais il ne bénéficie pas actuellement de la protection de l’octroi de mer puisque l’importation de ciment n’est pas taxée. Un sujet sur lequel devra se pencher Heba Capdevila (voir notre hors-texte).
Un comité industriel régional
À Maurice, où domine Kolos, le sujet du moment, c’est la décision du gouvernement de fixer un prix maximum de vente alors que le marché était libéralisé depuis 2012. « Ce n’est pas tenable », disent les acteurs qui ont porté l’affaire devant la cour suprême (voir notre hors-texte). Les résultats comptables des deux principaux acteurs, Cementis et Kolos, devraient s’en ressentir. Pour la directrice du groupe Cementis, cela aura aussi pour effet de « freiner la Recherche & Développement ». Pas question pour autant de baisser les bras, d’autant que chaque île affiche ses propres problèmes. Malgré cette diversité, Heba Capdevila vise à développer une identité de groupe et à réaliser des économies d’échelle. Elle a mis en place un comité industriel régional qui doit se réunir trois fois par an et les offres de recrutement sont publiées dans les différentes structures. C’est ainsi que la responsable logistique de Tamatave, Stéphanie Miarison, a été recrutée à Maurice. Capdevila, qui se déplace en permanence sur les différents sites de l’océan Indien, se focalise sur les produits à forte valeur ajoutée qui ne peuvent pas forcément être produits dans chaque île. Plus que jamais « fille de l’océan Indien », elle veut coller à chaque contexte insulaire. Un gros challenge…
À Maurice, les méfaits de l’électoralisme : À Maurice, où la roupie s’est effondrée et où l’inflation fait des ravages, le gouvernement a cru bon de remettre en cause la liberté des prix sur le ciment, en vigueur depuis plus de dix ans. Il a décidé de fixer un prix maximum de vente qui n’a rien de réaliste. En effet, les acteurs du secteur, principalement Kolos, leader du marché, et Cementis, s’étaient montrés raisonnables. Bien qu’ayant subi des hausses de 37 % durant la crise de la covid, du fait de l’explosion du coût du fret, de la chute de la roupie et de la hausse du coût de l’énergie, ils s’étaient limités à une augmentation de 20 % de leur prix de vente. Mais en prévoyant une nouvelle hausse de 10 %, ils se sont attiré les foudres du gouvernement, à l’écoute des électeurs. Le coût du ciment est un sujet sensible sur le plan électoral. Les acteurs ont porté l’affaire devant la cour suprême. Mais il faudra sans doute quelques années pour en voir le résultat.