THIERRY MONTOCCHIO, NOUVEAU PRÉSIDENT DE L’AHRIM : Comment rendre la destination vraiment durable
L’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim) a désormais pour président Thierry Montocchio, CEO de Rogers Hospitality. Un président qui se réjouit que le secteur touristique ait retrouvé le sourire, mais doit aussi faire face à de grands défis.
Thierry Montocchio a été nommé à la tête du groupe hôtelier Rogers Hospitality en 2019, juste au moment où toute l’industrie touristique mauricienne allait connaître les années les plus instables de son histoire. Cet expert-comptable de formation avait, pendant sept ans, assuré les fonctions de directeur financier du même groupe, auparavant connu sous le nom de VLH. Formé à Cape Town, en Afrique du sud, il a commencé par travailler au Royaume-Uni avant d’évoluer au sein du cabinet d’audit BDO, à Maurice, à partir de 2002 et d’en devenir l’un des partenaires en 2007.
S’il n’est pas un pur produit de l’hôtellerie, en revanche la gestion, qu’elle soit humaine et financière, il connaît. Il prend la présidence de l’Ahrim à un moment ou toute l’industrie touristique célèbre, comme il le dit lui-même, « un retour à l’optimisme ». « Le solide chiffre d’affaires généré par nos activités hôtelières durant ces derniers mois redonne du dynamisme à l’économie du pays. Avec le taux de profitabilité de 10 % en moyenne que nous avons tous pu atteindre, nous pouvons envisager les mois à venir avec sérénité », note-t-il avec satisfaction.
Des interrogations
Mais en bon expert-comptable qu’il est, le CEO de Rogers Hospitality ne peut s’empêcher de souligner que 90 % des revenus sont redistribués aux salariés, aux fournisseurs et, plus largement, au territoire. Réduire le niveau d’endettement des entreprises hôtelières, qui s’est creusé pendant les années de crise, poursuivre les rénovations et enrichir sans cesse l’offre d’expériences pour les voyageurs sont autant de défis à relever. Et les interrogations demeurent, selon le président de l’Ahrim…
Si la haute saison s’annonce exceptionnelle, au-delà de janvier, que nous réserve l’avenir ? Quels seront les effets de la situation géopolitique qui reste tendue ? L’inflation persistante va-t-elle impacter à long terme le pouvoir d’achat des voyageurs ? Les Jeux Olympiques de Paris pourraient-ils priver Maurice de ses vacanciers français ? « L’année 2024 s’annonce ponctuée de nouvelles incertitudes. Une façon certaine de se protéger de tout imprévu est de poursuivre la diversification de nos marchés, insiste Thierry Montocchio. Et de continuer d’offrir un service d’excellence, ce qu’on ne peut pas faire avec des équipes essoufflées. »
Pour le président de l’Ahrim, « les équipes ont fait preuve d’un réel engagement, mais on ne peut pas continuer à opérer un hôtel avec 20 % de personnel en moins et fournir le service hautement personnalisé sur lequel est construit notre modèle ». La main d’œuvre est donc un dossier qui reste en haut de sa liste de priorités. En tant que CEO de Rogers Hospitalilty, il a pris ses responsabilités afin de repenser la politique de ressources humaines pour retenir les talents. Avec les cinq établissements Veranda, les deux hôtels Heritage et les villas de luxe, le Château de Bel-Ombre et son parcours de golf ainsi que le Voilà Bagatelle, ou encore les restaurants Ocean Basket et Domino’s Pizza, entre autres, Rogers Hospitality est un acteur majeur sur le marché de l’emploi. À ce titre, le groupe propose à ses nouvelles recrues ainsi qu’à ses collaborateurs existants un nouveau programme de valorisation du personnel (voir notre hors-texte à ce sujet).
Le défi des ressources humaines
De plus, Thierry Montocchio propose, pour l’ensemble du secteur, de combler « immédiatement » le déficit de personnel, pour préserver le sourire mauricien et relâcher la pression sur les équipes. « Le quota de trois Mauriciens pour un étranger est tout à fait raisonnable. Il n’y a aucun risque que ce rapport ne compromette de quelque façon que ce soit notre ADN », insiste le président de l’Ahrim. Parallèlement, il affirme qu’il faut relancer la formation et, surtout, redynamiser l’École hôtelière Sir Gaëtan Duval.
« Mais pérenniser la reprise, c’est aussi rendre la destination durable ». Car les attentes du visiteur en matière de durabilité sont encore plus fortes depuis la fin de la pandémie. Les hôteliers en sont conscients puisqu’ils ont déployé de vastes programmes et dégagé d’importants investissements pour amener les pratiques et les infrastructures de leurs établissements aux normes les plus élevées. Chez Rogers Hospitality, Bel Ombre est devenu Biosphère et se retrouve parmi les 100 destinations les plus vertes au monde.
Mais malgré tous ces efforts, la destination mauricienne se classe toujours en bas de la liste des « destinations durables ». « Ce qui absolument sûr, c’est que la destination ne préserve pas ses biens communs comme elle le devrait, que le pays dans son ensemble n’est pas encore convaincu que la lutte pour une île Maurice plus verte et plus durable est une question de survie », regrette Thierry Montocchio.
Au nom de l’Ahrim, il propose donc qu’une cellule dédiée et spécialisée, qui agirait comme une autorité unique et développerait des solutions et des propositions pour la protection du patrimoine, soit mise en place. « Nos plages, jardins botaniques, musées et parcs naturels, aujourd’hui fragilisés, représentent un énorme potentiel pour nos visiteurs qui veulent sentir battre le cœur du pays ». Thierry Montocchio plaide pour une approche holistique afin de transformer Maurice en une destination qui soit vraiment durable.
Rogers Hospitality veut traiter ses employés comme des clients : Avec la difficulté accrue de recruter du personnel et de retenir les talents, le bien-être au travail et la croissance professionnelle sont au cœur des nouvelles stratégies des entreprises. Pour l’industrie touristique mauricienne, le recrutement et la rétention des talents sont même devenus un enjeu national. À ce titre, l’Employee Value Proposition (EVP) est un ensemble de valeurs et d’avantages qu’une entreprise propose à ses collaborateurs, en retour de leur performance et de leur engagement, se rendant ainsi attractive pour les talents. Ce programme vient d’être adopté par Rogers Hospitality, s’ajoutant au People Experience Journey, parcours d’accompagnement individualisé que le groupe propose à chaque membre de son équipe.
« L’idée, c’est de traiter l’employé comme le client », lance Jennifer Webb de Commarmond, fondatrice et directrice de Engaged Talent Solutions, qui a été partie prenante dans la mise en place de l’EVP de Rogers Hospitality. Une entreprise hôtelière s’engage à offrir à la clientèle un service de qualité. Dans la même logique, elle doit proposer au personnel un traitement qui soit lui aussi de qualité. Pour la directrice de Engaged Talent Solutions, si la « promesse client » dure plusieurs jours, voire quelques semaines en moyenne, la « promesse employé » s’étale, elle, sur des années…
Les employés bénéficient désormais d’une prime de parrainage accrue pour les nouveaux entrants. De plus, une politique de pourboire est introduite, sur une base trimestrielle. Les remises sur leurs commandes chez Ocean Basket et Domino’s Pizza, franchises du groupe, bénéficient d’une augmentation significative.
À partir de janvier 2024, de nouveaux avantages entreront en vigueur. Ainsi, les employés nouvellement mariés se verront offrir un séjour de deux nuits à l’hôtel ainsi qu’un cadeau. De plus, les collaborateurs bénéficieront d’un congé d’anniversaire en plus des 22 jours de congés annuels. Pour célébrer l’arrivée d’un nouveau-né au sein de la famille d’un employé, un cadeau sera accordé. Enfin, une provision de deux semaines de vacances sera mise en place à chaque intervalle de cinq ans pour les membres de l’équipe non-éligibles à ce type de congés. Ces nouveaux avantages viennent s’ajouter au régime existant de bénéfices et de formations dont profite déjà tout employé de Rogers Hospitality (mobilité interne, assurance individuelle, prime annuelle spéciale, etc.).