Transparency International : deux-tiers des bois précieux de Madagascar exportés illégalement
L’une des principales menaces qui pèsent sur la biodiversité de Madagascar est le trafic des bois précieux et des espèces sauvages, alimenté par une corruption à tous les niveaux. L’association Transparency International–Initiative Madagascar (TI-MG) a organisé le 16 février à Antananarivo un atelier livrant les résultats d’une importante étude sur les risques de corruption affectant plus particulièrement les bois précieux (bois de rose et d’ébène) dans la région du Menabe, au sud-ouest de l’île.
L’étude réalisée par l’ONG Traffic, sur un fonds de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), nous rappelle sèchement la réalité du terrain. Selon ce réseau de surveillance international du commerce de la faune et de la flore sauvages, ce sont pas moins de 104 000 tonnes de bois de rose et d’ébène qui ont été abattus dans le Menabe entre 1998 et 2014, et de façon totalement illégal dans près de deux-tiers des cas. « Le Menabe fait partie des régions les plus sujettes au trafic de bois précieux (tout en étant) une zone sujette à la destruction massive par les défrichements », rappelle l’ONG.
Ces bois destinés à l’ébénisterie sont généralement livrés avec leur écorce, ce qui représente un volume d’au moins 150 000 tonnes de grumes arrachées à l’ensemble des aires protégées de l’île, soit encore quelque 350 000 arbres abattus illégalement en 15 ans. Les troncs coupés sont acheminés par les rivières ou par camions puis chargés sur des bateaux, direction la Tanzanie et le Kenya, voire Mayotte et les Comores, avec principalement la Chine comme destination finale. Vendu dans les 20 000 dollars la tonne à la sortie du bateau, le bois précieux se monnaie ensuite plusieurs centaines de milliers de dollars, avant de terminer son périple sous forme de meubles.
Trafic d’influence et pots-de-vin
De la coupe jusqu’à l’exportation, les formes de corruption les plus caractérisées sont le trafic d’influence, l’abus de pouvoir, les pots-de-vin et la corruption active ou passive. Ce peut être aussi bien, indique le rapport, « le cas de l’exploitant qui verse une somme d’argent aux contrôleurs forestiers pour échapper aux sanctions que du transporteur qui use de son influence pour que les forces de l’ordre qui procèdent aux contrôles routiers ferment les yeux sur des bois illicitement transportés ou sur la présentation de faux papiers. »
Les résultats de l’étude pointent également la faiblesse d’ensemble des textes juridiques en vigueur régissant le secteur du bois précieux à Madagascar. « Malgré la multiplicité des textes dans le domaine, témoignage d’une réelle volonté à vouloir protéger nos ressources naturelles, différentes incohérences et lacunes ont été révélées à travers l’analyse juridique effectuée ». Ainsi, si l’exploitation illicite de bois précieux tombe théoriquement sous la coupe de la Cour spéciale de lutte contre le trafic de bois de rose et de bois d’ébène (CSBDRE), juridiction spéciale instituée par une loi de 2016 et effective depuis mi-2018, dans la pratique, on voit que ce n’est pas toujours le cas.
Exemple concret avec le palissandre qui devrait être classifié dans le genre Dalbergia (bois de rose) si l’on se réfère à un arrêté de 2011 portant sur la dénomination scientifique des bois de rose et d’ébène. Mais en pratique, dans les affaires de justice, le palissandre n’est pas considéré comme bois de rose, échappant ainsi à la juridiction spéciale de la CSBDRE. Il échoit aux simples juridictions de première instance (TPI) qui sont en général beaucoup moins instruites du problème des bois précieux et par conséquent trop laxistes.
Au final, ce que demande le rapport, c’est – entre autres – l’installation de véritables structures de contrôle, comme la Commission de gestion de stocks (prévue par le législateur mais toujours pas mise en place) qui permettrait de suivre la traçabilité du bois saisi, tout en dotant de moyens matériels conséquents les juges de la Cour spéciale. La revue à la hausse de la grille salariale des contrôleurs sur le terrain est également proposée afin d’encourager les agents à refuser la corruption. Un travail de longue haleine.
Bois précieux et tortues : même combat
L’étude de l’ONG Traffic International s’insère dans le cadre d’un projet plus global, lancé en octobre 2021 et intitulé Lutte contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages. Financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), il est mis en œuvre par un partenariat entre WWF, Traffic International, l’Alliance Voahary Gasy (AVG) et Transparency International–Initiative Madagascar. Ce consortium combine des expertises et des compétences différentes en vue de lutter contre le commerce illégal d’espèces sauvages et/ou protégées, de réduire la corruption dans le secteur et d’appuyer le renforcement des mécanismes d’application de la loi à tous les niveaux. Tout comme le bois précieux, les tortues de Madagascar font également l’objet d’un trafic illégal à grande échelle avec plus de 21 000 tortues endémiques saisies entre 2018 et 2021, selon les données de Traffic.