Eco Austral – Actualités économiques et entreprises de l'Océan Indien

Réunion

Un secteur en quête de respectabilité

Taxés de nombreux maux, les jeux vidéo sont aussi des supports pédagogiques dont le potentiel commence seulement à être exploré.

« On a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués », déclarait fin juin 2023 Emmanuel Macron, alors que la colère contre les violences policières dégénérait en émeutes un peu partout en France. Le monde des jeux vidéo s’est alors senti trahi par celui qui, une année plus tôt, recevait les principaux acteurs de l’esport français à l’Élysée.

Les gamers montaient au créneau, qualifiant la corrélation entre jeux vidéo et comportements violents de légende urbaine démentie par les études scientifiques. À vrai dire, les études contradictoires ne manquent pas pour démontrer soit les avantages, soit les inconvénients des jeux vidéo, ou plutôt de leur pratique intensive. Au-delà de l’incitation à la violence, ils sont associés à l’addiction, au repli sur soi, à la sédentarité et l’obésité. Certaines associations de gamers veillent à ne pas entrer dans ce cercle vicieux. C’est le cas, à La Réunion, de No Fear, qui se distingue par l’originalité de sa charte et a reçu le soutien de Zeop pour son engagement. L’équipe, qui accumule les victoires dans les tournois d’esport auxquels elle participe depuis 2020, encourage sa quarantaine de membres à soigner leur hygiène de vie, à limiter leur temps d’écran et à mener une vie sociale normale. Ses recrutements ne se fondent pas seulement sur le niveau de pratique du joueur, mais aussi son savoir-être et son savoir-vivre.

La pratique du jeu vidéo a aussi des vertus, selon des analyses inverses qui vantent leur capacité à stimuler certaines zones du cerveau et la connexion entre les neurones. Les joueurs aguerris seraient des champions dans l’art de détecter les détails, une compétence très recherchée dans certains métiers. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les liens de cause à effet restent à établir.

Un lieu commun est, en revanche, facilement réfutable : les jeux vidéo ne se limitent pas à tirer sur tout ce qui bouge. Ils peuvent aussi être des supports pédagogiques, voire thérapeutiques. La tendance du serious game, moyen de prévention auprès du grand public et de transmission d’informations au sein des foyers, n’est qu’émergente à La Réunion. Ruddy Fantelli, un jeune programmateur local, vient ainsi de créer Tuiit, un jeu très simple pour smartphone qui se déroule dans le secteur du Brûlé et sensibilise les gamers à la préservation de la biodiversité et du tuit-tuit, oiseau en danger critique d’extinction qui vit dans la forêt voisine.

Lors du dernier Geekali, le collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales est pour sa part venu présenter son projet de création d’un jeu qui servirait sa cause. Il s’inspirera d’une initiative métropolitaine née du rapprochement entre L’Enfant bleu, association de soutien aux victimes de maltraitance, et le jeu Fortnite. En 2020, pendant le confinement, un avatar a été introduit dans le jeu pour recueillir les confidences d’enfants violentés dans leur foyer. Plusieurs dizaines d’entre eux ont pu être repérés et orientés vers des structures de prise en charge.

La notion d’edutainment (éducation par la pédagogie, ou ludo-pédagogie) utilisant le jeu vidéo comme support est aussi en train de prendre corps dans le monde du marketing et du management. Un jeu pourrait faire comprendre à un joueur ce qui lui manque comme connaissances, et l’orienter pour l’aider à les acquérir. Plusieurs projets en cours, en Métropole, visent également à utiliser l’esport comme moyen de lutte contre l’obsolescence des compétences. Les développeurs ont du pain sur la planche !

« Nakagame », restaurant pour gamers : Saint-Denis compte depuis le mois de juillet le premier restaurant de l’île conçu pour attirer les fans de jeux vidéo. Le Nakagame a ouvert ses portes dans le centre indoor de Primat, qui regroupait déjà diverses activités de sports et loisirs. L’initiative en revient à l’incontournable Kévin Alamelou, fondateur de Place2Geek et président de Geekali. Restaurant, mais aussi tiers-lieu, le Nakagame est ouvert à tous les publics, y compris celui qui ne cherche qu’à se restaurer. Dès que l’on consomme, on peut accéder au vaste espace de gaming attenant, mais également réserver des espaces d’entraînement pour les équipes d’esport.