Covoiturage : le bon élève réunionnais
Alors qu’à La Réunion deux tiers des déplacements se font en voiture, la plupart sont occupées par un seul et unique occupant. Face à une telle aberration, la pratique du covoiturage connaît un fort développement. Mais la route est encore longue, car son potentiel demeure largement sous-exploité.
« J’en suis à plus d’une centaine de covoiturages. Il s’agit à la fois d’un choix éthique, environnemental, et d’une solution de confort car j’en avais vraiment assez des embouteillages ! » Pour Laurence, habitante de l’Ouest et infirmière au Port, le covoiturage est rapidement apparu comme une évidence il y a quelques années de cela. Depuis, ils sont nombreux à avoir emboîté le pas de cette pionnière. Au point qu’aujourd’hui, plus de 50 000 Réunionnais sont inscrits sur l’une des applications de covoiturage disponibles dans l’île. Parfois même à plusieurs d’entre elles.
« La Réunion est actuellement une des régions de France où le covoiturage se développe le plus rapidement. En valeur absolue, rapportée au nombre d’habitants, nous sommes même premiers au niveau national ! », se félicite Irshad Akhoune, le représentant local de Karos. En 2018, cette application déjà bien implantée dans l’Hexagone a été désignée par la Région Réunion pour devenir son prestataire de covoiturage, subventions à l’appui. À l’origine de cette politique publique, l’enquête Déplacements grand territoire de 2016, dans laquelle était pointée du doigt la part de « l’autosolisme ». En effet, quand 66 % des déplacements sont effectués en voiture, chacune n’est occupée en moyenne que par 1,45 passager. La plupart des véhicules sont donc occupés par leur conducteur uniquement. En faisant appel à l’expérience et au savoir-faire technologique de Karos, la Région a ainsi souhaité casser ce phénomène d’autosolisme, propice aux embouteillages et à la pollution atmosphérique.
Pour accompagner l’essor du covoiturage, la Région Réunion a mis à disposition du foncier pour créer des aires de covoiturage. Essentiellement situées entre La Possession et l’Étang-Salé, le long de la route des Tamarins, une vingtaine d’aires proposent au total environ 470 places dédiées au covoiturage. Résultat, elles affichent souvent complet, et des extensions sont à l’étude comme pour l’aire de l’Ermitage par exemple. Selon Irshad Akhoune, « cela n’est pas suffisant pour absorber les besoins liés au covoiturage. Mais ce n’est pas très grave, car le développement du covoiturage n’est pas conditionné au nombre d’aires ni au nombre de places. Le volume de Réunionnais aujourd’hui inscrits sur l’application permet de rapprocher de plus en plus le covoiturage du lieu de départ du passager et ainsi d’éviter les aires de rendez-vous ».
Des modèles économiques différents
Après un lancement en mode diesel (6 000 inscrits début 2022, 17 000 début 2023), l’application Karos semble enfin accélérer vers le succès. « Nous en sommes à plus de 45 000 inscrits. Sur les six premiers mois de l’année, 273 000 trajets ont été comptabilisés, contre 70 000 seulement pour toute l’année 2022 », détaille Irshad Akhoune. Merci le bouche-à-oreille, la communication et les incitations financières ! Car, avec Karos, le passager ne paie pas ses dix premiers trajets et le conducteur gagne au moins 2 euros par trajet, sans oublier la possibilité de pouvoir bénéficier de la prime d’État de 100 euros (après 10 covoiturages vérifiés). Une prime à laquelle les autres acteurs de la place ne peuvent pour l’instant prétendre : Rundrive et Noula attendent pour cela la confirmation de leur inscription au Registre des preuves de covoiturage, le service public qui vérifie la conformité des covoiturages. « C’est un frein indéniable. Difficile pour l’heure de rivaliser avec Karos, qui s’appuie sur cette aide d’État et sur les subventions de la Région », estime Yahia Hajji, qui a lancé l’application Noula à La Réunion en avril 2022.
Le modèle économique de cette application venue des Antilles est donc différent, avec un prix au kilomètre pour le passager, une petite commission pour le conducteur et surtout la quête de partenariats avec des entreprises locales. L’esprit est là encore légèrement décalé de Karos. « Nous proposons du covoiturage au trajet programmé (domicile-travail souvent), mais aussi en spontané, façon auto-stop. Ce service est adapté aux caractéristiques des mobilités outre-mer et aux spécificités géographiques de La Réunion entre les hauts et les bas. D’ailleurs, ces covoiturages instantanés représentent 60 % des trajets. » Noula visait 12 000 inscrits fin 2023. S’il n’a pas souhaité communiquer ses chiffres, le créateur évoque déjà une communauté de « plusieurs milliers de personnes ».
Quant à Rundrive, la plate-forme de covoiturage lancée en 2018 par Zeop, elle a bien du mal à trouver sa vitesse de croisière. « Nous devons repenser l’outil et la stratégie de développement pour faire de Rundrive un champion de l’intermédiation, annonce Emmanuel André, le directeur général de Zeop. Mais une chose est sûre, l’enjeu est énorme et plus il y a d’acteurs, mieux le covoiturage se portera. Il y a de la place pour tout le monde sur un tel secteur. »
Mobiliser les entreprises
Ce qui réunit ces trois acteurs au-delà de leurs différences, c’est la prépondérance parmi leurs inscrits des femmes (contre tous les préjugés liés à la sécurité) et des étudiants, en forte demande de ces solutions alternatives de mobilité et des gains qu’elles génèrent pour l’environnement et pour leur porte-monnaie. « À la fin du premier semestre 2023, les gains cumulés de pouvoir d’achat avaient déjà dépassé le million d’euros, contre 1,3 million sur l’ensemble de l’année 2022. C’est une des raisons pour lesquelles notre communauté compte de très nombreux étudiants, souligne le représentant de Karos. L’Université de La Réunion est d’ailleurs l’un de nos plus importants partenaires au plan national et c’est l’université française qui covoiture le plus. » Karos Réunion mise au maximum sur ces partenariats pour promouvoir la pratique du covoiturage. La plupart des demandes concernant des trajets domicile-travail, l’implication des employeurs apparaît fondamentale. « Établissements publics, collectivités, campus, entreprises… La trentaine de partenariats que nous avons établis représentent 12 % des inscrits, mais plus de 40 % des covoiturages réalisés ! Ces relais de promotion et de sensibilisation sont par conséquent essentiels pour le développement du covoiturage », analyse Irshad Akhoune. Malheureusement, les entreprises réunionnaises apparaissent encore réticentes et représentent à peine la moitié des partenariats de Karos Réunion. « Les chiffres présentés ont un aspect gratifiant ; pourtant, l’impact sur les embouteillages et sur la pollution est quasiment nul. Nous devons aller beaucoup plus loin et, pour y parvenir, il est indispensable que les employeurs mettent en place en interne des stratégies de sensibilisation, de gamification, voire d’incitations financières. »
Obligatoire pour les fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière, le forfait mobilités durables est facultatif pour les entreprises privées et très rarement proposé aux employés réunionnais. Pourtant, cette « prime » récompense les efforts fournis pour effectuer les trajets domicile-travail en faisant appel à des mobilités durables, dont le covoiturage. Exonérée de charges sociales et d’impôt sur le revenu, elle est à la discrétion de l’employeur (mais négociée avec le salarié) et peut s’élever jusqu’à 900 euros en outre-mer. Face à la frilosité du monde économique, Irshad Akhoune a décidé de se montrer proactif et de déplacer la réflexion : « Nous discutons actuellement avec plusieurs intercommunalités pour envisager des partenariats à l’échelle des zones d’activités afin de mutualiser les pratiques des salariés et les engagements des employeurs. »
La communauté de communes Civis teste l’autopartage : Acheter et entretenir une voiture coûte (très) cher. Pourtant, la plupart du temps, le véhicule n’est pas utilisé, dort dans le garage ou sur un parking, et participe à gonfler le parc automobile réunionnais. Et si la solution passait par une mutualisation de la voiture ? C’est l’idée sur laquelle repose le concept d’autopartage, que la communauté de communes Civis expérimente depuis le mois de mai 2023 à Bois d’Olives. « Il s’agit vraiment d’une phase de test, pour voir si l’autopartage séduit la population, si et comment il est possible de développer le concept parmi notre panoplie de solutions alternatives à la voiture individuelle, et s’il contribue à améliorer le reste à vivre des ménages », explique Yoguesh Kischenin, le directeur des déplacements et des mobilités innovantes à la Civis. Car la finalité de l’autopartage proposée à Bois d’Olives est à la fois économique, écologique et sociale. La candidature de la commune de Saint-Pierre et de la Civis a en effet été retenue dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt pour le Programme d’investissement d’avenir (PIA) « Villes et territoires durables », qui accompagne des projets de renouvellement urbain en matière de mieux-vivre et de maîtrise des coûts pour les habitants. Objectif ? Favoriser la transition énergétique des propriétaires modestes afin d’augmenter leur reste à vivre. En clair, une voiture pollue et grève le budget des familles : l’autopartage peut alors les aider en les incitant à ne recourir à la voiture qu’en cas de réel besoin. Ce système de voiture mutualisée permet de louer un véhicule pour une durée déterminée (à la demi-journée 10 euros ou à la journée 15 euros) sans avoir à en posséder soi-même. Selon la Civis, « l’autopartage réduit les coûts liés à l’achat et à l’entretien d’une voiture. Les utilisateurs ne paient que pour le temps d’utilisation de la voiture, sans avoir à s’occuper des frais d’assurance, de réparation ou de stationnement ». Autres avantages : c’est pratique (le service fonctionne 24h/24, 7 j/7) et écologique (cela réduit le nombre de voitures en circulation et les émissions de CO2). Reste désormais à savoir si l’essai sera transformé et l’idée, comme la voiture, partagée.
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