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Réunion

Faut-il en finir avec la canne à sucre ?

Alors qu’un conflit entre les planteurs et l’unique industriel sucrier de l’île traîne depuis plus d’un mois (au moment où nous bouclons cette édition) et que la filière ne bénéficie plus des quotas européens, la question de son avenir se pose…

La fin de la canne ? Sujet tabou s’il en est. Depuis des décennies, la filière est présentée comme le pilier de l’agriculture réunionnaise, bénéficiant de revenus garantis par les accords préférentiels avec l’Union européenne, évitant l’érosion des sols, résistant plutôt bien aux cyclones, n’exigeant pas trop de surveillance ni de travail, au contraire d’autres cultures. Bref, un solide revenu de rente pour les planteurs qui, bien souvent, exercent d’autres activités, leur plus grande difficulté étant de recruter des coupeurs au moment de la campagne. Si la fin des quotas européens depuis le 1er janvier 2017 a changé la donne, curieusement, la filière a choisi la politique de l’autruche, se contentant de demander un soutien financier au gouvernement français. Ce dernier a consenti à débourser 38 millions d’euros dont 28 millions pour La Réunion, obtenant l’accord de Bruxelles (jusqu’à quand ?). Et c’est d’ailleurs ce soutien qui a déclenché le conflit entre planteurs et l’unique industriel sucrier de l’île, la multinationale Tereos. Si l’industriel avait vu d’un bon œil la mobilisation des planteurs pour que l’État tienne la promesse du président Hollande, il ne comptait pas partager cette subvention, arguant qu’elle était une condition sine qua non à la viabilité de son activité à La Réunion où les gains possibles en productivité s’avèrent minimes.

LIMITE ATTEINTE POUR LES GAINS EN PRODUCTIVITÉ

Comme l’expliquait Philippe Labro, patron de Tereos dans l’océan Indien, dans un entretien accordé à L’Eco austral en février 2016 : « En forçant le secteur sucrier européen à se restructurer et à se concentrer, la politique européenne a fait diminuer les coûts de production en Europe. Cette concentration n'a pas pu intervenir dans les DOM car elle avait déjà été achevée depuis des années. À La Réunion, on est ainsi passé de 180 sucreries en 1860 à deux depuis 1996. » Mais les planteurs ne l’entendent pas de cette oreille et réclament une augmentation du prix d’achat de leurs cannes. Au-delà de ce marchandage, dans lequel l’État s’efforce de jouer au médiateur, personne ne semble lancer de réflexion sur l’avenir de la canne et, plus précisément, sur « l’après-canne ». Comme si cela faisait peur. Et la presse réunionnaise a peu relayé une information capitale : la fin de ce secteur d’activité dans l’État d’Hawaï ou il était pourtant ancré dans son Histoire comme à La Réunion. Peu d’infos également dans la presse française. Il faut aller voir du côté de la presse américaine pour trouver, par exemple, un reportage télé de CBS sur la fermeture de la dernière sucrerie en décembre 2016. Les employés sourient devant la caméra. Ont-ils été payés pour ça ? Plus probablement, le changement a-t-il été préparé de longue date. Et pourtant, Hawaï était réputée pour sa productivité avec sa fameuse « méthode » où la campagne n’avait lieu que tous les 24 mois. 

UNE VALORISATION MÉDIOCRE

La fin des quotas européens ne fait qu’accentuer à La Réunion la mise sous perfusion d’une filière qui, au bout du compte, dégage peu de valeur ajoutée alors qu’elle occupe la plus grosse part des surfaces agricoles. Il reste néanmoins difficile depuis 2011 d’avoir des chiffres détaillant toutes les aides et permettant d’établir la valeur ajoutée des différentes filières agricoles. Un peu comme si l’on voulait cacher la réalité. On sait néanmoins que le soutien public n’a pas diminué, bien au contraire. En 2011, la filière canne bénéficiait de plus de la moitié du financement public dévolu aux différentes filières agricoles, soit un montant de 116,12 millions d’euros (hors « calamités ») pour elle seule. En comparaison, la filière des fruits et légumes ne recevait que 8,62 millions d’euros. Or, quand on regarde la valorisation agricole (en ne prenant pas en compte les aides directes à la production), on constate que la canne représente seulement 98,08 millions d’euros et que les fruits et légumes se situent à 116,4 millions d’euros. Un écart qui se creuse puisque la production de cannes parvient avec bien du mal à se stabiliser alors que les fruits et légumes se trouvent dans une forte dynamique de développement et de valorisation à travers, par exemple, une filière bio. Si l’on regarde cette logique des chiffres, il faudrait donc privilégier la filière des fruits et légumes dont la rentabilité est très largement supérieure : avec cinq fois moins de surface, ils rapportent plus que la canne. Mais la logique industrielle n’est pas la même. La production actuelle de cannes (1 782 560 tonnes en 2016) est un minimum vital pour que les deux usines soient rentables. De quoi produire plus ou moins 200 000 tonnes de sucre, un volume variable selon les années, dépendant de la richesse de la canne. « Nous écoulons 88 000 tonnes de sucres spéciaux sur un marché européen de plus en plus concurrentiel, explique Philippe Labro. Pour le reste, soit quelque 115 000 tonnes transformées en sucre blanc, la fin des quotas nous place en concurrence frontale avec les 17 millions de tonnes de sucre de betterave européen qui bénéficient de coûts de production nettement plus faibles. » 
Le sucre n’est d’ailleurs pas raffiné localement pour des questions de rentabilité, contrairement à Maurice qui a choisi cette voie pour dégager plus de valeur ajoutée localement. Mais dans l’île voisine, on produit deux fois plus de sucre et le coût de la main d’œuvre est nettement inférieur à celui de La Réunion. « Une raffinerie coûte environ 60 millions d'euros, il faut donc pouvoir l'amortir, explique Philippe Labro. Cela n'aurait de sens que si l’on raffinait moins cher que les raffineries européennes. » 

LE CHANTAGE À L’EMPLOI

Comme on peut le constater, le problème n’est pas simple. D’un côté, on a une activité historique qui revendique 11 800 emplois directs dont 10 500 pour les agriculteurs et les salariés agricoles. Avec les emplois induits, cela représenterait 13,3% des emplois du secteur privé. Des chiffres à manier avec précaution puisque de nombreux planteurs exercent d’autres activités. Mais bien évidemment, Tereos ne manque jamais l’occasion de les citer. Tout comme il rappelle, avec le syndicat du sucre de La Réunion, son outil de lobbying, que ce produit représente en valeur entre 40% et 50% des exportations de l’île, ce qui n’est plus vraiment exact. Dans le dernier rapport de l’IEDOM, sucre et rhum ensemble pèsent moins de 100 millions d’euros à l’export en 2016 sur un total d’exportations de produits qui s’élève à 314,9 millions d’euros, soit moins d’un tiers. Un montant qui est d’ailleurs inférieur au total de financements publics dont bénéficie la filière canne. Mais tant pis si d’autres filières agricoles, comme celle des fruits et légumes bio, se révèlent particulièrement rentables. On est dans la canne et on doit y rester, selon la pensée dominante. 

LE SUCRE, CE POISON
Le sucre ajouté dans votre café ou dans les boissons et aliments industriels ne répond à aucun besoin. On peut même dire que c’est un poison. Surtout à La Réunion où la prévalence du diabète est la plus élevée des régions de France et où quatre personnes sur dix sont en surcharge pondérale. Une étude, publiée par le journal médical « Circulation » en juillet 2015, montre que les boissons sucrées sont responsables d'environ 184 000 décès chaque année à travers le monde. Au XIXe siècle, les Français ne consommaient que 2 kilos de sucre par an ; aujourd’hui, ils en consomment plus de 36 kilos. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) en préconise deux fois moins. Quitte à produire du poison, La Réunion pourrait choisir un poison plus rentable, comme le zamal, par exemple, qui pourrait s’exporter en Hollande ou dans d’autres pays ayant légalisé la consommation de cannabis.