Eco Austral – Actualités économiques et entreprises de l'Océan Indien

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Maurice

« La nouvelle ambassade fait partie d’un recalibrage de nos activités dans la région »

Les États-Unis vont ouvrir une nouvelle ambassade à Moka Smart City, au centre de Maurice. Un investissement de 300 millions de dollars pour un projet qui verra le jour au premier semestre 2026. Dans un entretien accordé à L’Éco austral, Henry V. Jardine, ambassadeur américain pour Maurice et les Seychelles, explique ce que représente ce projet et l’importance de la région océan Indien pour son pays.

L’Éco austral  : La nouvelle ambassade des États-Unis est-elle le symbole d’un nouveau partenariat entre Maurice et votre pays ?
Henry V. Jardine
  : Cette nouvelle ambassade va être une plateforme importante. Elle fait partie d’un recalibrage de nos activités dans une région importante historiquement pour les États-Unis et avec une nouvelle plateforme nous pourrons être plus efficaces. Avec une présence aussi plus soutenue de différents services et sur une durée plus longue (notamment une représentation du FBI – NDLR).

J’ai eu la chance d’être impliqué dans le projet depuis sa conception lorsque j’étais encore à Washington où j’occupais les fonctions de directeur du département des constructions outre-mer qui est chargé des projets d’infrastructures des chancelleries.

C’est très motivant pour nous qu’un tel projet voit le jour à Maurice. Et pour moi c’est très personnel parce que j’ai aussi été impliqué au moment de l’acquisition du terrain en 2018. Nous disposons d’environ 2,2 milliards de dollars par an pour ce type de projet (à travers le monde – NDLR) et on peut en dénombrer quatre ou cinq de la même envergure chaque année. Je crois ainsi que cela démontre la priorité accordée à Maurice.

Pourquoi un tel intérêt pour un petit État comme Maurice ?

Maurice est un pays qui a un important domaine maritime ; c’est un État océanique avec une Zone économique exclusive de plus de 2 millions de km². Il y a beaucoup de choses qui se passent dans cette partie de l’océan Indien au niveau du commerce, du mouvement des personnes, du changement climatique et de la sécurité.

La nouvelle chancellerie disposera d’espaces récréatif, elle pourra accueillir le public en plus grand nombre, comparé à ce que nous avons actuellement (l’ambassade des États-Unis occupe un étage de la Rogers House, à Port-Louis, NDLR). L’idée est d’en faire un espace plus ouvert, pouvant accueillir plus de monde, où nous pourrons avoir plus d’activités, de programmes culturels, d’interaction avec les médias… Mais nous aurons aussi un espace pour les réceptions, un jardin ou le public pourra jouir de l’espace ouvert.

Tout cela sera compatible bien sûr avec les mesures de sécurité en vigueur ?

Complètement ! Les concepteurs du projet sont très efficaces pour identifier les différents espaces qui accueilleront différents groupes de personnes, c’est-à-dire ceux qui viennent pour les visas, les étudiants, etc., qui seront canalisés.

Il y aura des arbres, des plans d’eau, mais aussi des séparations qui seront faites selon un design et non pas dans un esprit de ségrégation. Tout cet ensemble devrait donc être un espace plus ouvert au public mauricien.

Est-il exact de dire que Maurice devance les autres pays d’Afrique australe pour ce type de projet ?

Il s’agit de donner la priorité à certains projets par rapport à d’autres et de trouver un équilibre dans l’ensemble… Je sais que nous avons actuellement un projet à Lilongwe (Malawi) qui démarre, nous venons de terminer un projet en Namibie, il y a des projets en Afrique du sud… Il y a des projets que nous avons dans d’autres pays et je suis très heureux du fait que nous venons d’ouvrir une ambassade aux Seychelles.

L’autre élément que je voudrais faire ressortir pour notre future ambassade à Maurice, c’est le fait que nous allons faire du captage d’eau, adopter des solutions environnementales, utiliser les énergies renouvelables, limiter l’utilisation de l’eau, de l’énergie, etc.

La nouvelle ambassade sera bâtie sur une terrain de 5 hectares acheté au groupe ENL et situé sur sa Smart City de Moka. ©Droits réservés

Ce sera donc une infrastructure modèle ?

Cela devrait être le cas, en effet. Elle sera conforme à la classification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design, norme environnementale pour l’utilisation judicieuse de l’énergie – NDLR) comme celle en Namibie et comme c’est le cas pour la plupart de nos projets qui aident à réduire l’empreinte carbone.

Par ailleurs, nous serons aussi très sensibles à la question d’accessibilité pour le public notamment les handicapés, comme cela est prévu par la réglementation américaine (ABA, American Building Act – NDLR). Donc, les infrastructures seront accessibles à tous et, dans ce sens aussi elles seront un modèle. Les équipes viendront régulièrement sur place pour évaluer comment tout cela se met en place.

Ce que j’aimerais aussi mettre en avant c’est le programme intitulé « Art in embassies » (l’art dans les ambassades – NDLR) avec un budget spécifique dédié à l’acquisition d’œuvres d’art avec pour objectif de mettre en place un dialogue entre les artistes des deux pays.

Bref, ce que j’aimerais faire comprendre aux gens, c’est que cette nouvelle ambassade ne sera pas une sorte de bunker, mais bien une contribution culturelle, à l’économie et à l’environnement de Maurice, qui en sera une partie intégrante. Durant la phase de construction, les gens pourront même venir s’en rendre compte sur place.

Dans un autre ordre d’idées, comment est-ce que les États-Unis voient aujourd’hui leur rôle dans l’océan Indien ?

Ce que nous faisons à Maurice est en relation avec ce que nous faisons dans la région et j’espère que les gens voient ce que nous faisons dans la région comme un partenariat de choix, pour de nombreuses raisons. Il faut rappeler que la présence américaine dans la région remonte aux années 1790 et tout cela était déjà motivé par des raisons commerciales, lorsque les bateaux américains pratiquaient la pêche à la baleine notamment, ou encore faisaient du commerce, à partir du nord-est des États-Unis, avec l’Inde et la Chine en se ravitaillant à Maurice.

Lorsqu’on parle de nos relations, il faut faire ressortir cela et je crois qu’il est important qu’il en soit ainsi. Les relations commerciales sont très importantes et nous sommes très soucieux de pouvoir promouvoir plus de relations d’affaires dans la région.

Maurice et les Seychelles sont très actifs en ce qui concerne les services financiers. Il y a déjà des montants significatifs qui transitent par ici en provenance des États-Unis. Nous envisageons d’ailleurs de faire venir à Maurice une délégation d’une quinzaine d’hommes d’affaires en décembre (en collaboration avec l’EDB – NDLR), provenant de différents secteurs d’activité tels que les services financiers, le secteur éducatif ou encore celui des énergies renouvelables. Et il existe des opportunités dans la région pour ce type d’activités, pour les services financiers, l’aquaculture, l’environnement à Maurice ainsi qu’aux Seychelles.

Nous travaillons aussi sur des programmes avec les ONG qui sont engagées dans la protection de l’environnement, par exemple dans le sud de Maurice, à Bel-Ombre. Il y a des enjeux par rapport au changement climatique avec la présence de cyclones plus intenses, avec l’érosion des sols…

Il y a un certain nombre de sujets à propos desquels nous sommes désireux de collaborer, notamment au niveau de la sécurité dans la région, comme celle des domaines maritimes, dans la lutte contre le trafic de narcotiques. Par exemple, aux Seychelles, des boutres en provenance d’Iran contenant de grandes quantités d’héroïne ont pu être saisis.

Nous travaillons en collaboration avec le centre régional qui est à Madagascar et celui qui est aux Seychelles, pour l’échange d’informations et la formation. Nous avons un programme de formation pour les pays de la région afin qu’ils puissent collaborer dans la lutte contre la criminalité, que ce soit contre le trafic de drogue ou la piraterie.

La nouvelle ambassade disposera d’un espace pour les réceptions et d’un jardin pour le public. ©Droits réservés

Comment est-ce que vous vous situez par rapport à l’épineuse question des Chagos, où votre pays dispose d’une base militaire, et aux discussions qui ont lieu entre le Royaume-Uni et Maurice, qui revendique la restitution de cet archipel ?

Nous encourageons les deux parties à poursuivre le dialogue. Il y a un sixième « round » de négociations qui démarre. Le Premier ministre mauricien s’est exprimé récemment à la tribune des Nations unies et a réitéré sa confiance dans les négociations avec le Royaume-Uni. Il a également publiquement reconnu l’importance de la base militaire de Diego Garcia et son rôle clé pour la sécurité de la région, avec tout le matériel qui y est disponible et qui a notamment été utilisé pour aider les populations de cette région lorsqu’il y a eu le tsunami.

Il y a eu des discussions positives et on peut s’attendre à ce qu’il y ait des résolutions positives.

Comment est-ce que vous voyez l’extension de la présence de l’Inde dans la région ?

Les États-Unis travaillent dans un regroupement avec l’Inde, l’Australie et le Japon. Il y a eu récemment des manœuvres conjointes sur les côtes australiennes et il y a une collaboration au plan de l’aide humanitaire et de la prévention des catastrophes naturelles… Il y a donc une collaboration étroite et comme vous avez pu le voir, le président des États-Unis était au sommet du G20 et a évoqué un certain nombre de sujets sur lesquels notre pays pouvait collaborer avec l’Inde au niveau des infrastructures, des programmes spatiaux, des énergies renouvelables…

Dans la région, je constate que Maurice collabore avec plusieurs pays et je suis heureux que nous ayons de bonnes relations.

« Il y a beaucoup de choses qui se passent dans cette partie de l’océan Indien au niveau du commerce, du mouvement des personnes, du changement climatique et de la sécurité. »

Quels sont vos objectifs personnels durant votre mandat à Maurice ?

Outre les bonnes relations que je viens d’évoquer, je souhaite, sur un plan plus personnel, développer les relations avec la société civile. Lorsqu’on œuvre dans une ambassade, on a tendance à se focaliser sur des relations entre gouvernements, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’autres relations et il est aussi important de s’engager envers la société civile dans les domaines que j’ai déjà mentionnés plus tôt.

Ce qui est intéressant à Maurice, c’est qu’il y a une population très éduquée, mais il est important de développer certains talents, dans la mouvance de la sophistication de l’économie et nous nous sommes déjà engagés sur cette voie. Et cela est aussi valable pour les Seychelles…

Quant au plan commercial, il y a des intérêts très forts et mon souhait, c’est que Maurice aussi bien que les Seychelles voient dans les États-Unis un partenaire de choix qui pourrait les aider à relever les défis auxquels ils devront faire face dans les années à venir.

Henry V. Jardine : L’ambassadeur des États-Unis est en poste depuis février 2023, en charge de Maurice et des Seychelles. À Washington, où il était affecté auparavant, il a travaillé sur le projet de nouvelle ambassade à Maurice, un projet de grande ampleur puisqu’il s’agit d’un investissement de 300 millions de dollars. Henry V. Jardine est diplômé en relations internationales de l’Université de Georgetown et en « stratégie et politique des ressources miliaires nationales » du Collège international des Forces armées. Concernant son parcours international, il a été adjoint du chef de mission à l’ambassade américaine d’Albanie et conseiller à l’ambassade de Thaïlande.