Rhums « arrangés » : la bataille de Métropole
Le rhum « arrangé » connaît un succès fou sur le marché hexagonal. Mais les pionniers réunionnais ont fort à faire avec une concurrence tous azimuts.
Les rhums « arrangés » de La Réunion continuent à faire la course en tête, en Métropole, sur ce segment créé de toutes pièces il y a une quinzaine d’années, à l’origine par Isautier. Rivière Du Mât, Chatel et Rhums Réunion ont suivi, mais pas seulement. Les Antillais ont, eux aussi, compris qu’il fallait occuper ce nouveau créneau même si certains puristes guadeloupéens et martiniquais font remarquer qu’il ne s’agit pas d’une tradition locale. Les « arrangés » réunionnais ont surtout vu déferler une concurrence aussi foisonnante qu’inattendue : celle de producteurs métropolitains qui se sont mis à plonger dans le rhum à peu près tout ce qu’ils avaient sous la main, à commencer par leurs spécialités régionales. Les linéaires des grandes surfaces et les étagères des cavistes sont couverts de ces créations plus ou moins heureuses, souvent imaginatives mais également éphémères : tenir une production sur le long terme n’est pas si simple.
Malgré tout, le risque est grand pour les marques réunionnaises de se faire rattraper par le peloton. La principale parade qu’elles ont trouvée vise à réduire leurs coûts logistiques en exportant leurs matières premières en vrac et en les confiant à des embouteilleurs métropolitains. Les fabricants du Rhum Charrette avaient initié le mouvement : la première marque de rhum français prend la mer à 89° pour être embouteillée à 49° en Métropole par Terroirs Distillers, filiale du groupe Picard Vins & Spiritueux. Isautier a suivi, tout comme Rivière Du Mât. La marque réunionnaise désormais entre les mains de La Martiniquaise (groupe Cayard) va même plus loin en élaborant une gamme d’arrangés adaptés aux goûts métropolitains, avec des dénominations parfois spécifiques pour ce marché.
« Tous nos rhums blancs et 90 % de nos arrangés sont aujourd’hui embouteillés en Métropole, précise Cyril Isautier. Cette stratégie, qui nous permet aussi de répondre sans délais à des commandes imprévues, s’est révélée très efficace pendant la crise covid : sans cela, nous aurions été en rupture de stock pendant de longs mois. »
Nouvelles bouteilles pour Charrette : Un peu plus modernes, plus trapues : de nouvelles bouteilles de Rhum Charrette ont fait leur apparition cette année. « Elles permettent de distinguer la gamme destinée à la mixologie », explique Samuel Pitarch, directeur commercial et marketing de Rhums Réunion. Le blend (étiquette bleue) a gagné au passage un demi-degré, pour atteindre 40,5°. L’agricole (50°, étiquette rouge) et l’ambré (étiquette marron, 40,5°, passé en foudre pendant six à huit mois) complètent cette gamme.
Isautier pour collectionneurs : Isautier avait lancé en 2022 une gamme de rhums vieux d’exception, portant les prénoms de vénérables ancêtres. La maison sudiste poursuit sa démarche en présentant une nouvelle collection où l’on retrouve Louis & Charles, un blend de rhum agricole et de mélasse, et Antoinette (rhum de mélasse) et où apparaît Appolonie (rhum agricole). Les prénoms sont appelés à rester, assortis de leur millésime de commercialisation. Des jus différents seront ainsi proposés tous les deux ou trois ans : des flacons entre dix et quinze ans d’âge, pour experts et collectionneurs.
Le goût de l’amphore : La distillerie La Part des Anges, spécialisée dans les alcools de fruits, fabrique également un excellent rhum agricole à base de canne bio. L’entreprise de Vue-Belle ne résiste à aucune innovation et commercialise depuis peu des bouteilles d’un rhum à 68°, qui a passé trois ans dans une amphore en terre cuite grand format. « La terre cuite, poreuse, permet l’oxygénation et confère de la rondeur à l’alcool, précise Céline Maufras. L’amphore conserve toute la typicité de la canne et de son terroir. » Le résultat – un rhum vieilli sans contact avec le bois ni aucune note extérieure – est à goûter absolument. Un petit trésor de rareté, baptisé Eclips’, à 130 euros le flacon.