Eco Austral – Actualités économiques et entreprises de l'Océan Indien

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Réunion

Les nouvelles batailles de la grande distribution

Temps difficiles pour la grande distribution. Elle ne peut plus compter sur de nouvelles surfaces de vente pour se développer. On en fait aussi le bouc émissaire de la vie chère. Qu’en est-il vraiment ? Que pèsent les enseignes ? Pourquoi la concurrence va-t-elle s’intensifier ? Une enquête pour y voir plus clair.

Dans la grande distribution, comme dans le commerce en général, il n’y a que deux façons de faire progresser son chiffre d’affaires et son résultat. Soit on ouvre de nouvelles surfaces de vente, soit on améliore la rentabilité de celles dont on dispose. Ce peut être les deux évidemment et, dans ce cas, c’est le jackpot. Mais pour la grande distribution, dont les marges demeurent faibles, ouvrir de nouvelles surfaces de vente n’est plus d’actualité. Comme l’explique très bien Vincent Le Baliner, spécialiste de l’immobilier professionnel, non seulement le nombre de mètres carrés de surface commerciale par habitant est important (trop même dans certaines régions de l’île), mais aussi, différentes réglementations empêchent toute expansion territoriale. Il s’agit de la « loi ZAN » (Zéro artificialisation nette des sols) et de la loi Climat et Résilience. Sans oublier l’évolution des modes de consommation qui favorisent à la fois le commerce de proximité et le commerce en ligne. Déjà rude, la concurrence entre les enseignes de grande distribution s’intensifie avec une communication axée sur les « prix bas » et sur le soutien à la production locale. La concurrence est d’autant plus rude que le groupe mauricien IBL a pris 51 % de Make Distribution, qui exploite quatre hypermarchés à l’enseigne Run Market partenaire Intermarché, et il n’a pas l’intention de faire de la figuration.

Le groupe Bernard Hayot devance très légèrement le groupe Excellence en termes de chiffre d’affaires. Son objectif, après le rachat de Vindémia, consiste à améliorer la performance des magasins Jumbo et Score passés sous enseigne Carrefour. Photo : Guillaume Foulon

Poker menteur

Les centres commerciaux et leurs hypermarchés ont toujours la cote. Il suffit de se rendre sur leurs parkings pour s’en rendre compte. Mais avec l’inflation des prix, en particulier dans l’alimentaire, la grande distribution est devenue plus que jamais un bouc émissaire. Suite à une étude portant sur l’année 2022, l’Insee a annoncé le 11 juillet que, globalement, les prix à La Réunion étaient supérieurs de 9 % à ceux de la Métropole. Mais dans l’alimentaire, cela peut aller jusqu’à 37 %, précise l’Insee. De quoi montrer du doigt la grande distribution et porter sur le devant de la scène l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de La Réunion. Créé en 2007, cet observatoire, l’un des sept existant dans les DOM, est présidé par un magistrat indépendant de la Chambre régionale des comptes, il est composé d’élus locaux, des représentants des chambres consulaires et des organisations syndicales, des associations de consommateurs, des représentants des principaux services de l’État et des établissements publics locaux (Insee, IEDOM, etc.) ainsi que d’experts. Et depuis mars 2019, il comprend également 50 citoyens qui ont été désignés à la suite d’un tirage au sort parmi les candidats volontaires. L’OPMR ressemble à un « gros machin » et on se demande si cet éléphant accouchera de quelque chose. En tout cas, à son échelon, comme à ceux du gouvernement et du Parlement, il n’est pas simple de s’y retrouver dans la formation des prix en Outre-mer. Par exemple, les loyers de surfaces commerciales sont nettement plus élevés à La Réunion qu’en Métropole et les loyers des entrepôts y sont même les plus élevés d’Europe (cf. étude d’Inovista). Sans parler du coût du fret qui s’est envolé durant la crise.

Dans la grande distribution, en particulier avec les hypermarchés, on peut perdre très vite beaucoup d’argent. C’est le cas de Vindémia qui affichait de grosses pertes. Après avoir racheté cette filiale de Casino, Groupe Bernard Hayot (GBH) a cédé quatre hypermarchés Jumbo à Make Distribution et deux supermarchés Score au groupe Thien-Ah-Koon (Intermark). Il a également fermé un petit supermarché à Bellepierre (Saint-Denis). Il s’attelle maintenant à rénover les magasins qu’il a conservés et à améliorer leur rentabilité. Le retour à l’équilibre serait prévu pour 2024.

Le potentiel de Run Market

En situation de forte concurrence, la grande distribution est très réticente à dévoiler ses parts de marché. Et l’on a parfois l’impression d’assister à une partie de « poker menteur ».

Ce manque de transparence n’a pas manqué d’en faire le bouc émissaire idéal de la vie chère. Mais si l’on regarde de plus près les comptes de certains producteurs locaux, dans l’agroalimentaire notamment, on constate pour certains de très belles marges.

L’OPMR, pour y voir plus clair, ne devra négliger aucun paramètre. Pour cela, il a fait appel au cabinet Bolonyocte Consulting de Christophe Girardier, qui a été d’ailleurs le seul à répondre à l’appel d’offres. C’est dire si le sujet est sensible et peut conduire sur un terrain glissant. Lors de l’acquisition de Vindémia par Groupe Bernard Hayot, Christophe Girardier s’est montré très critique, pronostiquant une concentration plus forte du marché et la disparition à terme de Make Distribution, censé renforcer la concurrence avec ses quatre hypermarchés Run Market. L’entreprise a effectivement manqué de disparaître avec des pertes qui, selon Christophe Girardier, se situaient entre 120 et 130 millions d’euros. Mais le groupe mauricien IBL est venu à la rescousse et un plan de redressement a été validé, « prévoyant plus de 60 millions d’effacement de la dette dont une partie des PGE », précise Christophe Girardier. Le reste devra être remboursé et si le groupe IBL est venu, c’est qu’il considère que Make Distribution, dont il est actionnaire à 51 %, a le potentiel nécessaire. Il est vrai que ses quatre hypermarchés de l’ouest, du nord et de l’est de l’île sont bien situés, facilement accessibles par des quatre-voies pour trois d’entre eux. Son hypermarché de Duparc, au nord-est de Saint- Denis, à l’avantage de se trouver au sein de l’un des plus grands centres commerciaux de l’île.

Après son sauvetage, la priorité de Make Distribution a consisté à faire revenir les clients dans ses magasins. Des clients qui, lors de ses difficultés, avaient trouvé des linéaires vides ou fortement dégarnis. La reconquête étant en bonne voie, il est question maintenant de conquête de nouveaux clients. Car les quatre hypermarchés Run Market affichent un ratio chiffre d’affaires/surface commerciale très inférieur à celui de leurs concurrents. Avant son rachat, Vindémia s’était assoupi. Aujourd’hui, c’est le grand réveil depuis la reprise de ses magasins et la concurrence va s’intensifier encore davantage.

Qui entretien l’inflation ? La grande distribution ou les industriels ? : En France, les relations entre la grande distribution et les industriels se révèlent plus tendues qu’à La Réunion. Le 29 août, sur France Info, le P-DG de Carrefour, Alexandre Bompard, a fait quelques déclarations fracassantes. « Les Français ont compris que les industriels et les marques nationales n’étaient pas à leur côtés », a-t-il déclaré. Et de citer des rapports de l’Inspection des finances et de l’Insee qui montrent que, dans le contexte d’inflation, « les grandes multinationales mondiales n’ont ni protégé ni reconstitué leurs marges, mais qu’elles les ont augmentées ». Une situation qui, d’ailleurs, favorise les marques de distributeurs (MDD). Si La Réunion n’échappe pas à l’inflation sur les produits importés, les relations entre la grande distribution et les industriels locaux sont plutôt bonnes même si les négociations se révèlent parfois rudes. Un modèle original d’interprofessions réunit d’ailleurs les agriculteurs, les industriels et les distributeurs qui soutiennent les filières d’élevage.