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PATRICE BOULEVART (RÉGION RÉUNION ET SMTR) : « En matière de mobilité, l’audace paie »

Patrice Boulevart est le vice-président de la Région Réunion délégué aux mobilités et le président du Syndicat mixte de transports de La Réunion (SMTR) qui, depuis cet entretien, a changé de nom pour devenir Île de La Réunion Mobilités. Il évoque les pistes initiées ou évoquées par les acteurs de la mobilité pour sortir du coma circulatoire.

L’Éco austral : Du 9 mai au 23 juillet, une consultation citoyenne a été lancée par la Région Réunion dans le cadre des États généraux des mobilités. Quels enseignements pouvez-vous d’ores et déjà en tirer ?
Patrice Boulevart  : Il faut commencer par saluer la mobilisation des Réunionnaises et des Réunionnais pour ces États généraux des mobilités que la Région Réunion, en tant que collectivité « chef de file » en matière de mobilité, organise et pilote. Bien entendu, les autres collectivités et entités compétentes en matière de mobilités (intercommunalités, Département, SMTR et État) ont été associées à la démarche. La première phase de consultation, qui s’est achevée en juillet, a permis de rencontrer environ 6 000 personnes lors des quelque 130 réunions publiques et autres événements de terrain, tout en recueillant près de 11 000 contributions en ligne ! Il émane, des échanges et des propositions, une réelle volonté de s’impliquer dans cette démarche de démocratie participative par une approche à la fois pragmatique et respectueuse des spécificités des micro-régions. Il faut écouter, respecter et valoriser ces prises de position des Réunionnais. D’ailleurs, il apparaît dans ces contributions qu’ils sont en attente de davantage de choix dans la manière de se déplacer. Contrairement aux idées reçues, le Réunionnais n’aime pas sa voiture et veut imaginer d’autres types de mobilités.

À quoi ces contributions vont-elles servir ?

L’idée est de construire La Réunion de demain avec les Réunionnais. Les contributions ont donné lieu à la rédaction d’un rapport de la Commission nationale du débat public, qui a été publié avant la constitution de l’Assemblée citoyenne des mobilités en septembre. Celle-ci réunit des élus, des représentants des collectivités et des citoyens pour dessiner ensemble les mobilités des prochaines décennies et établir à terme un plan de déplacements validé et partagé par l’ensemble des partenaires engagés dans les différents projets.

Le Schéma régional des infrastructures et des transports (Srit), qui date de 2014, définit pourtant déjà les grands axes et chantiers en matière de déplacements à La Réunion ?

En effet, mais les objectifs qu’il fixe sont loin d’avoir été atteints et les promesses n’ont pas été tenues. L’ambition était à 15 % de transports en commun, or on arrive péniblement à 7 % aujourd’hui. Il faut donc donner au futur plan de déplacements partagé une autre valeur, afin que ce document soit validé par la population et non contestable par tous les acteurs de la mobilité, de manière à ce que tout le monde avance dans la même direction.

Quelle est la situation actuelle des déplacements à La Réunion  ? Le terme de « coma circulatoire » est souvent employé.

Chacun peut se rendre compte que le réseau routier est saturé. Et la situation va empirer dans les prochaines décennies. Les projections de l’Insee évoquent un parc automobile atteignant les 580 000 véhicules à l’horizon 2035… Ce n’est évidemment pas tenable. Il faut par conséquent trouver des solutions alternatives au tout-voiture. Cela passera par des transports en commun de qualité, avec des voies dédiées et une fiabilité accrue. Mais il est indispensable d’envisager d’autres solutions de mobilité, à la fois douces, durables et satisfaisantes pour les usagers. Il faut balayer large et ne pas hésiter à faire preuve d’imagination et d’innovation. Sur les mobilités, l’audace paie ! C’est ce leitmotiv qui nous anime à la Région quand la présidente Huguette Bello relance le projet ferré. Cela prendra peut-être du temps, mais nous devons y aller tous ensemble pour que cela fonctionne. Car les Réunionnais sont prêts pour ces changements de pratiques. Le téléphérique Papang, à Sainte-Clotilde, en est un parfait exemple. Le projet a été parfois décrié, or il répond aujourd’hui à toutes ses ambitions, et même au-delà, avec plus de 2 millions de voyages comptabilisés depuis mars 2022. Pour les deux roues, les premiers projets de location de vélos électriques portés par les intercommunalités ont séduit les habitants du Sud et de l’Ouest, au point d’être victimes de leur succès et de voir les listes d’attente s’allonger. Enfin, la progression en flèche de Karos, l’application de covoiturage financée par la Région Réunion (à hauteur de 1,2 million d’euros la première année) et abondée par l’État avec une prime incitative de 100 euros, démontre également que les Réunionnais sont prêts à modifier leurs habitudes si on leur fournit les outils pour se déplacer autrement. Il faut continuer d’avancer sur toutes ces pistes alternatives, en concertation avec tous les acteurs de la mobilité sur le territoire réunionnais.

Le nouveau Pôle d’échanges multimodal (PEM) de Saint-Clotilde fait le lien entre les bus, le téléphérique et les stations de vélos électriques. Photo : Guillaume Foulon

Parmi tous ces chantiers, quels sont ceux qui vous apparaissent prioritaires en tant que vice-président de la Région Réunion ?

La création de sites propres pour les transports en commun est la priorité des priorités. Trop de retard a été pris ces dernières années. Des tronçons de transport en commun en site propre (TCSP) sont terminés, en cours de réalisation ou en projet dans toutes les zones de l’île les plus encombrées : voie réservée aux transports en commun sur 9 km entre Sainte-Suzanne et Sainte-Marie, prolongement de l’axe mixte de Cambaie jusqu’à Saint-Paul, création d’une voie réservée supplémentaire du bas du viaduc du Bernica jusqu’à Savanna, projet de boulevard ur-bain de la RN2 jusqu’au giratoire des Plaines (connecté au projet de TCSP de la Cirest d’ici 2028), etc. Des études préliminaires ont également été lancées sur les différentes entrées de Saint-Pierre, avec des voies là encore réservées aux transports en commun bien entendu. Certains projets complémentaires de TCSP urbains sont pilotés par les intercommunalités concernées : Néo sur le territoire de la Civis, Baobab sur celui de la Cinor, RN3 pour la Cirest. Seule la mise en œuvre de tous ces TCSP permettra aux transports en commun de gagner en qualité, en efficacité et en fiabilité, de façon à attirer davantage d’usagers.

Les transports en commun ne représentent à l’heure actuelle que 7 % des déplacements, transports scolaires compris. Un objectif chiffré est-il envisagé avec tous ces chantiers de TCSP ?

Le summum serait d’atteindre les 15 %. Mais une ambition plus réaliste semble devoir nous inciter à viser plutôt 10 % à 11 %. Au-delà de 15 %, le transport ferré sera indispensable. Nous en sommes très loin aujourd’hui, mais je pense qu’il faut créer l’offre pour engendrer le besoin et faire exploser la demande en transport en commun. La transition vers le ferré se fera par une qualité accrue des transports en commun, notamment grâce aux TCSP et aux bus à haut niveau de service. Mais les voies qui sont créées aujourd’hui sont toutes dimensionnées pour accueillir à terme un tramway léger.

Qu’en est-il de la Nouvelle route du littoral ?

La NRL est bien évidemment dimensionnée pour basculer un jour sur du transport guidé. En attendant, la présidente Huguette Bello l’a annoncé, la Région Réunion souhaite terminer la NRL. Il sera impossible de terminer les 2,7 km restants en digue comme prévu à l’origine. Aujourd’hui, nous relançons donc les études pour finaliser l’ensemble en viaduc. La livraison en totalité de la NRL est espérée pour 2028. Mais c’est un dossier d’infrastructures si lourd qu’il est difficile de certifier la temporalité de ce projet. L’essentiel est de le finir. D’autant qu’il s’agit d’un axe essentiel pour la cohérence et la continuité du réseau de TCSP autour de La Réunion, et à terme pour le passage en transport ferré.

Quelle est la stratégie régionale en ce qui concerne les mobilités dites « douces » ?

La Région Réunion se montre proactive avec son projet de Voie vélo régionale. Chaque année, des kilomètres supplémentaires de pistes ou de voies cyclables sont ajoutés, pour atteindre à terme les 220 km dédiés aux cyclistes. De la sorte, avec ce projet d’infrastructure, nous impulsons le développement des modes doux. Un développement dont le potentiel est immense, quand on voit le succès des projets Altervélo ou Mobiouest, portés respectivement par la Civis et le TCO. La Cinor va les rejoindre très prochainement, avec le lancement d’un service inédit de location longue durée de vélos électriques dans le Nord. La réflexion est également lancée dans l’Est, dans le cadre de son schéma directeur de modes doux. C’est le meilleur moyen pour démocratiser l’utilisation du vélo électrique. Il faut enfin signaler que le Syndicat mixte de transports de La Réunion (SMTR) a lancé depuis septembre 2022 l’application Géovélo, dans le but de promouvoir l’usage quotidien de la bicyclette. Gratuite, cette appli guide les cyclistes sur les routes disposant d’aménagements cyclables sécurisés ou sur des voies à faible circulation. En contrepartie, les utilisateurs font remonter leurs remarques et leurs préconisations, en particulier sur les zones non aménagées ou nécessitant une amélioration de la sécurité. D’une manière générale, la Région invite et incite les collectivités à aménager des voies réservées aux vélos, ce qui contribuera à sécuriser la pratique et à améliorer le cadre de vie.

Les intercommunalités ont la compétence sur les projets de mobilités, notamment alternatives, qui concernent leur territoire. Cette « souveraineté » a-t-elle tendance à freiner la stratégie régionale ?

La Réunion ne dispose pas d’une autorité unique qui chapeauterait toute la politique de déplacements. Cela nous oblige à travailler à partir de discussions, de partenariats et de retours d’expériences innovantes. Comme pour le vélo à la Civis ou le téléphérique à la Cinor, les initiatives probantes font des émules et peuvent donner des idées aux autres intercommunalités. Les échanges sont enrichissants, et chaque intercommunalité est capable de décider pour son territoire.

S’il y a un projet à mener en commun, c’est la concertation et la recherche du consensus qui vont prôner. Aujourd’hui, la volonté globale est de travailler tous ensemble et d’écouter tous les acteurs. Ce qui n’a pas toujours été le cas…

« Il faut activer tous les leviers existants, mobiliser les collectivités et faire en sorte que les projets de TCSP actuels soient dimensionnés pour laisser un jour la place à un tramway léger. » Photo : Guillaume Foulon

Nouvelle route du littoral, TCSP, mobilités douces, réseau régional de transport guidé (RRTG)… Autant de projets et d’axes qui ont été portés initialement par la majorité précédente. La volonté est-elle de s’inscrire enfin dans le long terme et de respecter une certaine continuité pour parvenir à dessiner La Réunion de demain ?

Nos premières décisions le prouvent. Nous allons faire en sorte de terminer la NRL, malgré les difficultés que nous rencontrons et les critiques que nous recevons. Idem pour le RRTG, qui va servir d’armature pour avancer sur le projet régional de transport ferré. Tout ne sera évidemment pas terminé en 2028, et ce sera à la majorité suivante de poursuivre le travail engagé. Ou pas (sic). Mais quand on a la volonté de faire avancer le territoire, la continuité s’impose. Surtout quand il s’agit d’idées qui semblent aller dans la bonne direction. C’est le cas du réseau guidé de tramway léger. Ce projet prévoit à terme 169 km de voies ferrées, de Saint-Benoît jusqu’à Saint-Joseph, en passant par Saint-Denis, Saint-Paul et Saint-Pierre. Le nœud en sera le coût : le projet initial avait été estimé à 4,5 milliards d’euros… C’est sûrement encore plus aujourd’hui. Il faut activer tous les leviers existants, mobiliser les collectivités et faire en sorte que les projets de TCSP actuels soient dimensionnés pour laisser un jour la place à un tramway léger.

Autour des projets de TCSP, comment les besoins de multimodalité sont-ils pris en compte ?

Nous essayons d’interconnecter les différents types de transports en commun et les possibilités de mobilités douces. La vision doit être globale et cohérente, pour parvenir à faire émerger des Pôles d’échanges multimodaux (PEM) dont l’exemple-type est celui du nouveau PEM de Sainte-Clotilde. C’est là que vont désormais se croiser les lignes de la Citalis, une ligne Car Jaune, le téléphérique Papang, les stations de vélos électriques et les parcs-vélos de particuliers. Des parkings-relais sont également en projet le long des différents projets de TCSP, notamment vers l’hôpital à Saint-Benoît, à Bel-Air, à Sainte-Thérèse à La Possession ou encore au Portail à Saint-Leu. Dès que du foncier est disponible, des parkings P+R sont envisagés à proximité des lignes de transport en commun.

La réussite du téléphérique Papang à Sainte-Clotilde pourrait-elle donner des idées à d’autres intercommunalités ?

La Cinor réfléchit déjà à répliquer le modèle Papang ailleurs sur son territoire. Dans un premier temps entre Bellepierre et la Montagne. Mais l’expérience est si concluante que le SMTR travaille à la création d’un schéma directeur du transport par câble pour l’ensemble de La Réunion. À l’Est, ce choix semble en effet idéal pour répondre à la problématique de la desserte de Hell-Bourg à Salazie. Quant au Territoire de l’Ouest (ex-TCO – NDLR), il est propice au déploiement de ce mode de déplacement, qui permettra d’assurer le lien entre les Hauts et le littoral. Le SMTR en est au stade de l’identification des liaisons qui pourraient être assurées par un transport par câble.

Pour finir, les chefs d’entreprise semblent assez frileux quand il s’agit de mettre en place le forfait mobilités durables pour leurs salariés, qui est censé inciter à adopter des mobilités alternatives. Quel est votre sentiment sur cette réticence ?

J’estime que les chefs d’entreprise doivent, au-delà de l’aspect financier, considérer le bénéfice en termes de responsabilité sociale et sociétale des entreprises au niveau collectif et d’amélioration des conditions de travail au niveau individuel. L’axe humain doit être au cœur de la réflexion d’entreprise sur le développement durable. Car un salarié qui s’évite plusieurs heures d’embouteillages le matin est sûrement un peu plus productif. Environnementaux, humains, économiques… Les bénéfices sont nombreux à inciter ses salariés à opter pour des mobilités alternatives ou à travailler autrement (coworking, télétravail…). En particulier le mardi et le jeudi, qui sont les deux jours où les embouteillages sont les plus importants. La Région Réunion et ses partenaires sont prêts à accompagner les entre-prises dans leur réflexion, voire dans l’élaboration de leur plan de mobilité employeur (PDME).

Transport en commun en site propre (TCSP) à Saint-Louis. Pour Patrice Boulevart, le développement de TCSP est la priorité des priorités. ©Civis