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Maurice

Vingt-trois banques en activité : stop ou encore ?

La tendance est à l’ouverture du secteur, encouragée par la Banque centrale. Mais le marché mauricien se révèle saturé. Le salut passe par l’international et le développement d’un centre financier qui ouvre les portes du continent africain.

« Le secteur bancaire mauricien attire toujours les grandes banques universelles. Nous recevons des demandes d’agréments provenant d’opérateurs aussi bien indiens et pakistanais que britanniques ou africains (…) Nous prenons en compte uniquement les demandes de banques de renommée internationale. » Rundheersing Bheenick, gouverneur de la Banque centrale de Maurice (BoM), s’est montré jusqu’à maintenant partisan de l’ouverture et, avec la délivrance de deux nouvelles licences, on compte aujourd’hui pas moins de 23 banques, dont certaines issues de groupes locaux.

Rundheersing Bheenick, gouverneur de la Banque centrale de Maurice, se montre partisan de l’ouverture du marché et vient d’accorder deux nouvelles licences. - Davidsen Arnachellum
Un nombre qui ferait craindre la saturation sur un marché qui reste largement dominé par quelques acteurs. « Cela peut sembler beaucoup, répond Yashod Umanee, directeur général d’ABC Banking, l’une des nouvelles venues. Mais Singapour en compte plus d’une centaine ! » Pour preuve,  la très grande majorité des 23 banques mauriciennes affichent leur rentabilité… Supérieure à celle de La Réunion, par exemple. Mais il est vrai que la quasi totalité ont développé une activité à l’international, ce qui n’est pas le cas dans le département français voisin.

UN MARCHÉ LOCAL QUI DEMEURE LIMITÉ ET TRÈS SEGMENTÉ

« Le secteur financier se porte bien. Il croît globalement de 5,7% et contribue à plus de 10% de notre Produit intérieur brut », souligne Ashraf Esmael, CEO de la banque Bramer. Sur 21 banques en activité au mois d’avril, 6 évoluaient uniquement sur le segment A (local), 4 sur le seul segment B (international) et 11 sur les deux segments A et B (voir notre encadré à ce sujet). Les deux dernières venues sur le marché, la Warwyck Private Bank et la Banque Richemount Ltd, devraient, selon la BoM, évoluer comme banque d’affaires et banque privée et ne devraient pas viser la banque de détail.
Le marché mauricien est dominé par deux poids lourds : la Mauritius Commercial Bank (MCB), en première position, qui en détient quelque 42% des parts, suivie de la State Bank of Mauritius (SBM) qu’on situe à quelque 25%. Un total de 67% qui révèle un important déséquilibre de ce marché local. Et la difficulté pour les outsiders de conquérir des parts dans l’activité de banque de détail qui exige la création d’agences dans toute l’île et la mise en œuvre de campagnes de communication.
Jean-Michel Ng Tseung, Chief Manager et responsable du Corporate Banking à la MCB : « Notre ratio prêt/dépôt s’élève à 92% alors que notre ratio d’adéquation des fonds propres est de l’ordre de 13% par rapport au seuil réglementaire de 10% imposé par la BoM. » - DR
Difficile, voire utopique, de détrôner la MCB, véritable institution cotée à la Bourse, qui affiche une excellente santé et dégage des résultats impressionnants (près de 109 millions d’euros de bénéfice net pour l’exercice clôturé au 30 juin 2013). « 70% de nos dépôts proviennent des particuliers alors que plus de 70% de nos prêts sont dirigés vers les entreprises. Notre ratio prêt/dépôt s’élève à 92% alors que notre ratio d’adéquation des fonds propres est de l’ordre de 13% par rapport au seuil réglementaire de 10% imposé par la BoM », signale Jean-Michel Ng Tseung, Chief Manager et responsable du Corporate Banking à la MCB. Difficile aussi de faire trembler la SBM, banque des fonctionnaires, mais aussi du privé, qui a enregistré au 30 juin 2013 un résultat net de 80 millions d’euros. Pour les outsiders, il reste surtout les stratégies de niche… et l’international. D’autant plus que les banques subissent le durcissement des règles avec les accords de Bâle III (voir notre encadré). Cette réforme, de par le renforcement des niveaux de fonds propres pondérés des risques, aboutit mécaniquement à imposer au secteur bancaire une mobilisation massive de capitaux. À Maurice, les instances régulatrices ont poussé les banques à augmenter leur capital ou à désinvestir dans certains secteurs ou pays.

À L’ASSAUT DE L’INTERNATIONAL

« Le marché local a ses limites, et il faut aller chercher la croissance hors de nos frontières », reconnait Yashod Umanee d’ABC Banking. Yashod Umanee, directeur général d’ABC Banking : « Vingt-trois banques, cela peut sembler beaucoup, mais Singapour en compte plus d’une centaine ! » - DR

Son établissement, l’un des derniers arrivés sur le marché, est également l’un des plus dynamiques. À preuve, après seulement trois ans d’opération, il a reçu d’« Euromoney », une publication internationale qui fait référence, le prix de « Best Private Bank in Mauritius 2014 » pour ses services offshore… Et cela pour la seconde année consécutive. Sans parler de Bramer Banking Corporation Ltd, désignée par le  magazine 
« Global  Finance » comme meilleure banque pour Maurice dans son classement  des « meilleures  banques  des marchés émergents en Afrique ».
Ashraf Esmael, CEO de Bramer Banking Corporation Ltd : « Le secteur financier se porte bien. Il croît globalement de 5,7% et contribue à plus de 10% du Produit intérieur brut de Maurice. » - DR
De quoi faire plaisir à ceux qui rêvent de faire de Maurice un centre financier qui ouvre les portes de l’Afrique. Si ce centre financier existe déjà, avec le « Global Business », anciennement connu comme « offshore », il demeurait jusqu’à l’heure surtout dépendant du traité de non double imposition signé avec l’Inde. Un traité particulièrement attractif pour les capitaux indiens, mais régulièrement attaqué par la presse indienne qui y voit un levier de l’évasion fiscale. Les banques se doivent d’anticiper sa renégociation éventuelle et de diversifier leurs risques. C’est le cas de la MCB qui se tourne de plus en plus vers l’Afrique et dont l’activité internationale pèse quelque 45% de ses bénéfices. Le leader du secteur bancaire mauricien s’active, sur le continent africain, dans les prêts à court terme pour l’achat de pétrole et de marchandises. « 35% de nos actifs sont  dans  le  segment  B,  principalement engagés dans le financement de l’achat de produits  pétroliers », précise même Jean- Michel Ng Tseung. La MCB développe aussi un concept qui consiste à être une « banque des banques » en proposant ses services à d’autres banques africaines. « La MCB met son expertise, son expérience, ses ressources humaines et technologiques à la disposition d’autres banques africaines. Celles-ci peuvent offrir de nouveaux services à leurs clients rapidement et sans grand investissement, en externalisant chez nous une partie de leurs opérations. »

DES NICHES DE MARCHÉ À DÉVELOPPER

La filiale de la Barclays, deuxième plus vieille banque de Maurice après la MCB, occupe la troisième place avec une part estimée entre 13% et 15%.
Ravin Dajee, directeur général de Barclays Bank Mauritius Limited : « Alors que l’Afrique fait l’objet de toutes les attentions, nous nous appuyons sur Barclays Africa et notre expertise pour proposer des produits adéquats à nos clients. » - DR

« Barclays Bank Mauritius Limited (BBML) n’est plus une simple branche de la maison mère, mais bel et bien une entité indépendante de Barclays International, explique Ravin Dajee, son directeur général. Et alors que l’Afrique fait l’objet de toutes les attentions, nous nous appuyons sur Barclays Africa et notre expertise pour proposer des produits adéquats à nos clients. » Cette stratégie porte ses fruits puisque le pôle offshore contribue à la plus grosse part d’un résultat net qui a atteint 25,4 millions d’euros en 2012.
D’autres établissements plus petits, comme Afrasia, ont su également profiter de ce relais de croissance à l’international. Créée en 2007, cette filiale du groupe mauricien GML, est la pionnière sur la niche de la banque d’affaires et de la banque privée. « Même si c’est un exercice difficile, aujourd’hui, 60% de notre activité se réalise à l’international. Et ce pourcentage va croissant », se réjouit Thierry Vallet, General Manager et directeur du département Private Banking d’Afrasia. La gestion de patrimoine est aussi une niche habilement exploitée.
Thierry Vallet, General Manager et directeur du département Private Banking d'Afrasia : « Nous sommes, avant tout, des porteurs de solution ».
« Notre cible est la clientèle à fort pouvoir d’achat et disposant d’un gros patrimoine, soit environ entre un et cinq millions de dollars, précise Thierry Vallet. Un exercice difficile car notre concurrent n’est pas une banque mauricienne, mais toutes les banques du monde. Notre priorité est de créer une relation de confiance avec le client et d’être avant tout des porteurs de solution. » Cette niche de marché intéresse la plupart des nouveaux acteurs du marché et les plus anciens s’y mettent également. « Nous disposons d’une équipe de banquiers privés qui ont été formés afin d’apporter un service de haut niveau », précise Jairaj Sonoo, Chief Executive Banking (Indian Ocean islands) de la SBM.
Jairaj Sonoo, Chief Executive Banking (Indian Ocean islands) de la SBM : « Nous disposons d’une équipe de banquiers privés qui ont été formés afin d’apporter un service de haut niveau. » - DR
Cette banque offre des placements dans des fonds d’investissement libellés en roupies mauriciennes ou dans des fonds libellés dans diverses devises étrangères et gérés par des institutions renommées. Même son de cloche chez Yashod Umanee d’ABC : « Le terme gestion de patrimoine et de banque privée est à prendre avec des pincettes… Nous ne sommes pas encore une banque privée et nous ne sommes pas encore prêts pour lancer des produits d’investissement à hauts risques, mais  c‘est  une niche que nous souhaitons exploiter. Pour cela, nous ne mettrons pas forcément l’accent sur nos produits, qu’on peut trouver ailleurs, mais sur la rapidité et l’efficacité de nos services. »
Cette stratégie semble payer. « À nos débuts, notre portefeuille d’activités était centré à 100% sur le leasing (ABC Banking appartient au groupe ABC, très présent dans le secteur automobile – Ndlr). Trois ans plus tard, il ne représentait que la moitié de nos activités et les opérations  bancaires l’autre moitié. Aujourd’hui, les opérations bancaires dépassent 55% de nos activités avec une répartition à 50% vers le Corporate Banking, 40% vers l’international et 10% pour le détail. »
Le secteur financier mauricien doit rayonner encore davantage à l’international. Se faire un nom en quelque sorte. Et savoir profiter des traités de non double imposition signés avec certains pays africains, ce qui réduira sa dépendance envers celui signé avec l’Inde. Pour les 23 banques mauriciennes, c’est la voie de la croissance.

Les traités de non double imposition avec l’Afrique

Actuellement, treize traités ont été validés et sont applicables avec le Zimbabwe, le Swaziland, Madagascar, le Botswana, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Lesotho, l’Ouganda, les Seychelles, le Sénégal, la Tunisie et la Zambie. Six traités ont été signés avec le Congo, le Kenya, le Nigeria, l’Égypte, le Rwanda et le Gabon, mais on attend encore leur mise en application. Trois traités sont en attente de la signature de l’une des deux parties avec le Ghana, le Burkina Faso et le Maroc. Cinq traités sont en négociations avec l’Algérie, la Tanzanie, le Malawi, le Cap Vert et le Nord Soudan.
On pourrait donc atteindre, au final, 27 traités, soit exactement la moitié des États du continent.

 

Bâle III

Les Accords de Bâle III (du nom de la ville suisse où se réunit le comité qui réglemente le secteur) font partie des initiatives prises pour renforcer le système financier international à la suite de la crise financière de 2007 (crise « des subprimes »). Sous l’impulsion du FSB (Financial Stability Board) et du G20, il s’agit de garantir un niveau minimum de capitaux propres, cela afin d’assurer la solidité financière des banques. La principale contrainte, pour elles, est de consolider leurs fonds propres.

 

Le marché mauricien dans le détail

Le marché bancaire mauricien se décompose en deux grands sous-ensembles :
Le segment A ou « marché local » à destination de la clientèle résidente (particuliers, professionnels, entreprises et autres personnes morales) ;
Le segment B dit « Global business » à destination de la clientèle internationale et/ou d’une clientèle non-résidente avec deux cas de figure :
– Les sociétés Global Business Licence catégorie 1 (GBL1) sont des sociétés avec une résidence fiscale à Maurice et bénéficiant des accords de non double imposition et de taux réduits d’imposition (3%). Elles ne sont pas autorisées à effectuer des transactions en monnaie locale avec des résidents ou à détenir des avoirs immobiliers à l’île Maurice ;
– Les sociétés Global Business Licence catégorie 2 (GBL2) sont non-résidentes, non soumises à l’impôt et dispensées de tenir une comptabilité. Ces « boîtes aux lettres » ne peuvent pas bénéficier des traités de non-double imposition.